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Maupeou, et que cette constante opposition a rendu très populaire, l’avocat Target. En lui confiant sa défense, Beaumarchais, toujours fidèle à ses goûts de mise en scène, écrit à Target une lettre qui circule partout et qui commence par ces mots : Le martyr Beaumarchais à la vierge Target. C’est la vierge Target qui, avec son éloquence un peu vide, mais pompeuse et sonore[1], se charge de maintenir la popularité de l’ancien adversaire de Goëzman et de le défendre en associant sa cause à celle du parlement restauré et de la liberté reconquise :


« Remplissez donc enfin, messieurs, dit Target, en terminant son plaidoyer, remplissez l’attente générale, et, j’ose le dire, le vœu qu’en secret vous formez vous-mêmes pour la réparation de l’injustice. Absous par le public, il est temps que le sieur de Beaumarchais soit délivré par la loi. Elle est passée cette époque de contradictions et d’orages où le citoyen ne puisait pas toujours dans les décisions de ses juges la règle de ses propres jugemens, où un homme a pu être frappé sans être déshonoré. L’union est rétablie, la nation possède enfin ses magistrats. Les ministres, les dépositaires des lois sont rentrés dans le droit, plus grand et plus flatteur encore, d’être les arbitres des mœurs et les modérateurs des sentimens. C’est au sein de cette concorde heureuse que, sous l’œil du public, et des mains de la loi, le sieur de Beaumarchais va reprendre, comme un droit qui lui est propre, ce premier bien de l’homme en société, l’honneur, qu’en attendant le retour de l’ordre il avait confié comme en dépôt à l’opinion publique. »


Après le discours de Target, l’avocat-général Séguier conclut également à la réhabilitation, et le 6 septembre 1776 un arrêt solennel du parlement tout entier, grand’chambre et Tournelle assemblées, annule la sentence portée contre Beaumarchais par le parlement Maupeou, le rend à son état civil et aux fonctions qu’il avait précédemment occupées. Cet arrêt fut accueilli avec le plus vif enthousiasme par la foule qui encombrait le prétoire, et l’heureux plaideur fut porté en triomphe au milieu des applaudissemens depuis la grand’chambre jusqu’à sa voiture. Il avait préparé un discours qu’il voulait prononcer avant la plaidoirie de Target, on le détermina à y renoncer ; mais comme il tenait à se mettre en règle avec l’opinion, il le publia dès le lendemain. Ce discours, qui figure dans ses œuvres, est assez bien réussi dans le genre noble, mais il est surtout très habile et très hardi. On vient de voir plus haut avec quelle souplesse Beaumarchais sait tirer parti de la faveur d’un ministre ; mais tout en utilisant son crédit auprès de M. de Maurepas, il ne renonce

  1. Ce même Target, présidant plus tard la constituante, se rendit coupable d’une phrase d’avocat restée célèbre, qu’on cite quelquefois dans les traités de rhétorique pour enseigner aux jeunes gens à éviter l’abus des synonymes : « Je vous engage, messieurs, à maintenir entre vous la paix et la concorde, suivies du calme et de la tranquillité. »