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de toutes les alliances. La catholique Espagne apprit avec satisfaction la chute de Jacques II, renversé pour avoir voulu restaurer en Angleterre la religion romaine, et dans les premiers momens le pape lui-même, alors maltraité par Louis XIV, vit sans trop de déplaisir le triomphe de Guillaume III, qui lui apparaissait presque comme un vengeur.

Je le répète : ces circonstances plus ou moins accidentelles, en assurant le succès définitif de la plupart des entreprises du monarque anglais, contribuèrent puissamment à sauver la révolution de 1688, dont le triomphe, par une étrange destinée, se trouva lié à celui de la cause européenne. Les commencemens du nouvel ordre de choses qu’elle avait inauguré furent pourtant bien difficiles, bien pénibles ; ils annonçaient bien peu la grandeur de son avenir. On était encore séparé par plus de soixante années de l’époque où, cet ordre de choses étant enfin accepté unanimement par tous les partis, l’Angleterre devait rentrer dans la plénitude de ses forces, retrouver le sentiment de la stabilité, et recueillir enfin les fruits du grand changement auquel elle s’était résignée en chassant les Stuarts. Jamais on n’a vu une démonstration plus éclatante de cette vérité, que les révolutions les plus nécessaires dans le présent, les plus utiles dans l’avenir, entraînent pour la génération qui les accomplit d’inévitables, d’immenses souffrances ; que ce n’est pas elle qui est appelée à en goûter les bienfaits, et que la seule consolation qui lui soit réservée, c’est, si elle a véritablement foi dans son œuvre, de prévoir que les générations suivantes en profiteront.

L’Angleterre a eu cette fortune. La révolution de 1688, en lui assurant la réalité du gouvernement constitutionnel au prix de bien des agitations et même de quelques humiliations passagères, a jeté les bases du glorieux édifice où elle se repose aujourd’hui dans sa grandeur et dans sa sécurité. Par un contraste qui peut paraître singulier au premier aspect, mais qu’un peu de réflexion suffit pour expliquer, le despotisme de Louis XIV, en enlevant aux diverses classes de la nation toute influence directe et légitime sur les affaires publiques, donnait alors à la France quelques années d’un éclat sans pareil, qui malheureusement recelaient le germe fatal des faiblesses et de la corruption du règne de Louis XV, comme aussi des catastrophes dont l’interminable série se déroule au milieu de nous depuis plus de soixante années. Les développemens de ce contraste pourraient fournir à l’historien philosophe la matière d’un beau travail : il me suffit de les avoir indiqués.


LOUIS DE VIEL-CASTEL.