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malheur, son talent, ce qu’il conserve encore de sa popularité, ce qu’impose au congrès sa position d’hôte des États-Unis[1].

On m’avait annoncé que la séance du sénat serait aujourd’hui intéressante : elle l’a été en effet, encore moins parce qu’on a dit que par le motif qui faisait parler les orateurs. La plupart des discours que j’ai entendus étaient des professions de foi en faveur du compromis, c’est-à-dire des dispositions législatives qui tendent à concilier le nord et le sud. M. Foote et M. Houston, les antagonistes du combat parlementaire de l’autre jour, avaient tous deux parlé dans ce sens. Aujourd’hui le général Cass a suivi leur exemple ; M. Douglas, député de l’Illinois, est venu faire une protestation pareille et expliquer au sénat comment il n’avait pas voté la loi des fugitifs. Il est entré à ce sujet dans des détails tout personnels : appelé par une affaire à New-York, il croyait être de retour pour voter ; contre son attente et toutes les probabilités, il est revenu trop tard ; alors il est allé à Chicago, il a bravé avec quelque péril l’opinion très exaltée en ce quartier-là contre le compromis, il a fait revenir sur sa résolution le conseil de la ville de Chicago. Pourquoi M. Douglas met-il tant d’insistance à expliquer dans tous ses détails la conduite qu’il a tenue en cette occurrence ? C’est qu’il aspire à la présidence et que tous les prétendans à ce poste suprême tiennent extrêmement à établir qu’ils sont pour le compromis. Cet empressement général à adopter le programme de la conciliation montre à quel point cette opinion est celle de la majorité des électeurs : chacun, pour se rendre possible, vient l’arborer successivement, et ce n’est qu’en se plaçant sur cette plate-forme, pour employer le langage parlementaire américain, qu’on peut espérer d’être président l’année prochaine.

M. Douglas est un des hommes dans le congrès dont le discours et l’aspect m’ont le plus frappé. Petit, noir, trapu, sa parole est pleine de nerf, son action simple et forte. Il a eu à parler de lui et l’a fait avec chaleur et convenance. Quelques mots à la fin de son discours m’ont paru inspirés par un sentiment vraiment politique. À propos de ce compromis que tout le monde préconise, il a dit avec raison, ce me semble : « Oui, restons-lui fidèles ; mais si nous voulons réellement

  1. Depuis mon départ, on m’a raconté la réception que lui a faite le sénat. Cette réception donnait quelque embarras. M. de Lafayette, reçu de la même manière, avait été complimenté officiellement et avait répondu, ce qui avait parfaitement convenu à tout le monde ; mais ce précédent inquiétait : on craignait que Kossuth ne voulût parler aussi, et que son discours ne fût compromettant pour le congrès ; d’autre part, un manque d’égards envers l’hôte de la nation eût déplu universellement. Voici ce qu’on a imaginé, A peine a-t-il eu pris place dans l’assemblée sur l’invitation du speaker, qu’un sénateur s’est levé et a dit qu’un grand nombre de ses collègues désirant faire connaissance personnellement avec l’illustre champion de la liberté, le héros hongrois, etc., il demandait que la séance fût levée.