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servir la cause de la conciliation, n’en parlons pas trop et avec trop de vivacité ; attendons qu’elle soit attaquée : alors il sera temps de nous lever et de la défendre. Jusque-là craignons de l’exposée en voulant trop la servir. » Cela était à la fois fin et sincère, habile et vrai. M. Douglas, qu’à cause de sa taille et de son talent on appelle le petit géant de l’Illinois, me paraît un des hommes de ce pays qui ont le plus d’avenir : il pourra bien arriver au pouvoir quand l’ouest, qui n’y a pas encore été représenté, voudra à son tour avoir son président. L’esprit de M. Douglas me semble, comme sa parole, vigoureux, ardent, ce qui en fait un représentant très fidèle des populations énergiques qui grandissent entre la forêt et la prairie, dans la portion la plus nouvelle des États-Unis, et qui, déjà riches et puissantes, ont encore en elles, avec la sève du défricheur, la hardiesse du pionnier[1].

C’est peut-être le lieu de dire quelque chose de ce qui divise les deux grands partis politiques des États-Unis, les whigs et les démocrates. D’abord il faut reconnaître que ces deux partis représentent à quelques égards l’antagonisme universel des conservateurs et des novateurs de tous les pays. Cependant je ne crois pas que ce soit là ce qui les constitue. Ainsi les démocrates, progressifs quant à leurs doctrines économiques, puisqu’ils sont partisans de la liberté du commerce, sont conservateurs et même retardataires par rapport à l’esclavage, auquel le plus grand nombre d’entre eux est moins opposé que la majorité des whigs. D’autre part, on ne peut dire que les uns soient plus favorables que les autres à la liberté, ce qui est une question fort différente de la première. En effet, il y a partout dans les sociétés européennes une querelle entre l’esprit et les intérêts anciens, l’esprit et les intérêts nouveaux, cette querelle, qui se confond parfois avec celle de la liberté et du despotisme, en est cependant essentiellement distincte, car il est arrivé souvent en Europe que l’esprit ancien favorisait les libertés locales et individuelles, et que l’esprit nouveau tendait à les opprimer. La tradition, représentée par l’église, par la royauté, par l’aristocratie, a en diverses circonstances défendu l’indépendance des associations ou des individus, et l’innovation, sous la forme d’une assemblée ou d’un despote, a opprimé cette indépendance. À plus forte raison, aux États-Unis, la lutte

  1. En parcourant les actes du congres, il m’en tombe un sous la main qui se rapporte à un homme dont le nom doit être prononcé avec reconnaissance par tout Français et tout Américain, c’est M. Vattemare, qui par sa persévérance est parvenu à établir entre la France et les États-Unis un échange de livres auquel nous devons de posséder à Paris une collection d’ouvrages sur ce pays plus complète qu’aucune de celles qu’il possède lui-même. Presqu’à chaque pas que j’ai fait en Amérique, j’ai rencontré des témoignages de la gratitude des Américains pour M. Valtemare ; j’aime à placer ici l’expression de la mienne.