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venez assez de votre catéchisme pour savoir qu’avec un signe de croix nous ferons disparaître votre mémoire. Vous en avez commencé un contre M. de Vedel[1], je le sais, et vous aurez beau répondre non. Je connais le style de l’avocat du maréchal ; s’il paraît un mémoire, que je ne bâille pas dès la première page ; si je ne dors pas à la seconde, si je ne finis pas par le jeter par la fenêtre, je dirai : c’est M. de Beaumarchais qui l’a écrit, composé et fait imprimer. Alors je taillerai aussi ma plume, et ce sera moi qui vous répondrai, monsieur.

« En attendant, comme vous êtes encore pour moi un homme aimable, un homme avec qui je ne refuserais pas d’être confrontée, quand il m’en coûterait bien d’être Mme Goëzman, j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

Vence de Saint-Vincent. »
« À la Conciergerie, samedi. »


Cette lettre était embarrassante pour Beaumarchais : celle qui l’écrivait était la femme d’un des présidens du parlement devant lequel son procès avec le comte de La Blache allait être jugé en dernier ressort. Il ignorait alors que le président de Saint-Vincent, depuis longtemps séparé de sa femme par l’inconduite de celle-ci, ne prenait à elle aucune espèce d’intérêt ; il redoutait que cette fausse idée de Mme de Saint-Vincent n’exerçât sur son procès d’Aix une fâcheuse influence ; il tenait donc à la dissuader, mais il tenait aussi à ne pas indisposer contre lui le duc de Richelieu, au cas où Mme de Saint-Vincent montrerait sa réponse, et en même temps il éprouvait le besoin de faire sentir poliment à une dame de qualité, dont la réputation était très entamée, qui se trouvait accusée d’un crime pour lequel elle fut condamnée, que sa gaieté n’était pas tout à fait en harmonie avec sa situation. Tout cela exigeait beaucoup de tact, et comme cette qualité n’est pas la plus saillante de toutes celles de Beaumarchais, on aimera peut-être à la rencontrer dans sa réponse à l’arrière-petite-fille de Mme de Sévigné :


« On vous a mal instruite, madame ; quelques affaires de comédie m’ont attiré chez M. le maréchal de Richelieu, d’où M. Blondel a beaucoup trop légèrement conclu qu’il s’agissait de mémoires de ma part. Je ne suis point avocat, et, dans une affaire aussi grave, M. le maréchal doit plus rechercher un homme de loi qui dise les choses qu’un homme de lettres qui fasse des phrases.

« De ma part, madame, je suis encore en reste avec M. le comte de La Blache d’un épais mémoire qu’il vient de publier à Aix, où nous sommes renvoyés ; j’ai sur mon bureau les matériaux d’une requête à la cour des pairs contre la cour sans pairs qui m’a blâmé d’avoir eu raison, et M. Blondel veut que j’aille m’immiscer dans les tracas d’autrui, lorsque tout mon temps ne peut suffire aux miens : cela n’est ni probable ni vrai.

  1. C’était une des personnes compromises avec Mme de Saint-Vincent dans l’accusation de faux. L’assertion de la dame était d’ailleurs absolument inexacte.