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point voulu croire entièrement au rapport des parties intéressées. C’est chose rare, du reste, qu’on puisse dépister les soupçons d’une meute de curieux et d’oisifs qui flairent La prochaine curée d’un scandale. On avait donc secoué la tête dans le village, lorsque Madelon avait essayé de donner le change à ceux qui l’interrogeaient. Un détail révélé par le garçon de la mairie, qui avait porté chez M. Protat la boîte de secours pour les asphyxiés, vint d’ailleurs combattre les dénégations de la servante du sabotier. L’employé avait remarqué autour des jambes de l’apprenti le cercle tracé par les cordes auxquelles Zéphyr avait attaché les deux grosses pierres qui avaient rendu son sauvetage si difficile. Ce témoin avait en outre ajouté qu’en arrivant sur les lieux, il avait trouvé tous les gens qui entouraient le noyé, — particulièrement le père Protat et le désigneux, — très bouleversés. Quant à la demoiselle, (c’est le nom que les gens de Montigny donnaient à Adeline), elle était quasiment comme morte. Cette inquiétude si naturelle que le danger couru par l’apprenti avait fait naître, les méchantes langues la détournaient du sens naturel. Le suicide prémédité ne fut plus même contesté, et les conjectures commencèrent à se grouper autour de cet événement.

Pendant toute la journée, on n’avait parlé que de cela dans le village, les hommes aux champs, les femmes au lavoir. Protat n’était pas aimé dans le pays, peut-être parce qu’il était de tous les habitans celui qui possédait le plus de bien, et qu’il s’en montrait un peu trop satisfait. Sa fierté paternelle n’était pas non plus étrangère à cet éloignement, qui ne laissait point passer une occasion sans se manifester par une petite hostilité. Quant à Adeline, c’était véritablement de la haine que La pauvre enfant avait fait naître, sans douter, depuis son retour dans Le village. Toutes Les commères savaient aussi bien qu’elle-même le compte des robes de soie qu’elle avait dans sa commode. On connaissait le nombre de ses bijoux, on citait la finesse de son linge, qui excitait à la fois l’admiration et l’envie, quand Madelon venait le battre au lavoir, et il n’y avait point de railleries dont elle ne fût l’objet à cause de la dentelle qu’elle mettait à ses oreillers et, disait-on même, à ses torchons. Plus que tout le reste, ce luxe innocent avait amassé sourdement sur sa tête une haine envieuse, absurde et brutale, qui n’attendait qu’un prétexte pour éclater.

La tentative de l’apprenti fit luire le premier éclair de cet orage qui menaçait Protat et sa fille. Au moment où Lazare venait de rentrer, les gens rassemblés à la Maison-Blanche devisaient bruyamment, comme nous l’avons dit, à propos de cet événement. Zéphyr, comme on l’a pu voir, n’avait jamais excité grande sympathie dans le village. À l’époque où Protat l’avait adopté, au lieu de lui savoir gré de cette