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saurait ébranler la conviction des hommes qui respectent profondément l’art et les chefs-d’œuvre, ils laissent dire, tout en appréciant à leur juste valeur les prétendus progrès et les innovations encouragées par les éloges de gens qui prennent volontiers le jargon des écoles pour la définition des principes ; mais en se taisant ainsi, ils font acte de timidité plus encore que de réserve. Ils ont l’air d’accepter la défaite de leur parti, la ruine de leurs croyances les plus chères. On dirait qu’eux aussi ils répudient le noble passé de la peinture française, ses traditions, son génie même. Et quand, s’enhardissant de ce silence qui devient presque une lâcheté, les apôtres de l’art matérialiste crient hautement victoire, quand on voit, comme au salon de celle année, l’hérésie s’étendre, l’admiration se porter de plus en plus sur des objets indignes ou secondaires, il est impossible de demeurer, même en apparence, complice de pareils écarts ; on s’irrite, il faut parler, ne fût-ce que pour protester au nom de la gloire des maîtres contre la notoriété de ceux qui usurpent leur place, au nom des principes élémentaires de l’art contre les envahissemens du métier.


I - PEINTRE D’HISTOIRE.

Le moyen le plus efficace de ramener le public, les artistes et la critique à des opinions plus saines serait sans doute un exemple donné par les maîtres eux-mêmes. La comparaison qui s’établirait de soi entre leurs œuvres et celles qui les avoisineraient au salon ferait aisément justice des exagérations et des erreurs. Malheureusement les peintres les plus éminens de l’école actuelle ont pris l’habitude de se tenir à l’écart et de laisser le champ libre à des disciples que le plus souvent ils désavouent. À peine quelques-uns de leurs lieutenans entrent-ils en lice, quitte à se retirer aussi après peu d’années de combats. Le nom illustre de M. Ingres, celui de M. Delaroche ont cessé de figurer dans les livrets des salons depuis près de vingt ans. M. Decamps, M. Scheffer, n’ont, durant cette période, exposé leurs ouvrages qu’à de rares intervalles. Ces abstentions systématiques sont un fait regrettable, et ne serait-il pas plus heureux pour tout le monde que des artistes de cette valeur donnassent au public, en retour de la réputation qu’il leur a faite, une marque de déférence et de souvenir, aux jeunes talens ou aux talens qui s’égarent un encouragement ou une leçon ? Que résulte-t-il de ces témoignages persévérans de dédain pour les expositions annuelles, et de cet exil volontaire de quelques chefs de l’école contemporaine ? C’est que des artistes qui pourraient avoir aussi leur part d’autorité s’arrogent les mêmes droits, et à leur tour refusent la lutte. Au salon qui vient de s’ouvrir, outre l’absence des peintres dont nous avons rappelé les noms, on remarque, sans la sentir aussi vivement il est vrai, celle des hommes qui à tort ou à raison ont acquis dans les arts une haute position hiérarchique. Sauf MM. Heim et Robert Fleury, il n’est pas un seul des quatorzes membres de la section de peinture à l’Institut qui ait consenti à nous donner la mesure de son habileté actuelle. L’exposition, au lieu d’être comme autrefois un grand concours entre les talens éprouvés ou déjà mûrs pour le succès, n’est plus ainsi qu’une sorte de gymnase où viennent s’exercer des artistes fort près encore de leurs débuts, et le public, n’ayant le plus souvent sous les yeux que des œuvres d’un ordre, secondaire, s’habitue à prendre pour le dernier mot de l’art contemporain ce qui n’en est que le spécimen