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tout révèle dans son tableau une alliance heureuse et discrète du style héroïque et du style littéral. L’attention soigneuse accordée à l’imitation de chaque objet ne diminue pas la part qu’il convenait d’attribuer à l’imagination, et, malgré les dimensions un peu restreintes de la toile, le Saint François mourant mérite à plus d’un égard d’être rapproché des œuvres de la grande peinture.


II – PEINTURE REALISTE ET SUJETS DE FANTAISIE.

Les tableaux de M. Gallait, le Tasse et les Derniers momens du comte d’Egmont, semblent être du genre le plus sérieux, à ne considérer que le caractère des sujets, et d’un mérite peu ordinaire, à ne tenir compte que de l’habileté matérielle, et pourtant ce ne sont au fond ni des tableaux d’histoire, ni des tableaux dignes de fort grands éloges. Ici, la part faite à la transcription des détails dépasse une juste mesure, et dans le Tasse, par exemple, l’étroite lumière qui n’éclaire que les mains et le genou d’une figure dont il convenait surtout de nous montrer la tête, l’attitude pour le moins familière de cette figure, la silhouette des barreaux de la fenêtre se dessinant sur le terrain, d’autres accidens pittoresques du même ordre, attestent une vive préoccupation des effets réels, mais ils ne témoignent pas d’un instinct très profond des conditions les plus rares de l’art. M. Gallait, dont on s’obstine bien à tort à comparer le talent au talent de M. Delaroche, n’a ni le sentiment ingénieux, ni L’invention dramatique, ni la distinction du peintre de Jane Grey et de la Mort du duc de Guise. Il serait plus exact de le comparer à M. Robert Henry, sinon même à M. Jacquand, car l’habileté de l’artiste belge consiste, comme celle des deux artistes français, dans l’extrême fidélité du pinceau et ne dépasse guère les limites de l’imitation littérale, M. Gallait s’entend très bien à rendre l’effet et la saillie d’un morceau, à copier une main ou une tête et surtout une étoffe ou une armure, mais il ne sait pas dominer son modèle et en tirer quelque chose de plus que ce que celui-ci lui donne. Pourquoi alors ne pas mettre ces qualités d’exécution dans leur vrai jour et leur relief, en les appliquant à des sujets qui réclameraient moins impérieusement la sévérité du style ? Un tableau de Mlle Rosa Bonheur, placé assez près du Tasse, n’est-il pas la preuve de ce que le talent peut gagner à rester dans ses bornes naturelles et à suivre simplement la route qui lui est tracée ? Il serait fort injuste sans doute de réduire le rôle de M. Gallait à celui d’un peintre de genre, mais il n’est pas hors de propos d’engager un artiste qui pourrait exceller dans un certain ordre de peinture à mieux consulter ses forces, et sous ce rapport l’exemple de Mlle Rosa Bonheur ne serait pas, nous le croyons, pour M. Gallait sans opportunité et sans profit. Le Marché aux Chevaux de Paris se recommande d’ailleurs par des qualités assez solides, par un goût de composition et de dessin assez sérieux, pour que, même au point de vue de l’art pur, on étudie le tableau inspiré par un sujet si peu épique, il y a une grandeur véritable dans les lignes du groupe de chevaux placé au centre de la composition, une rare énergie dans l’exécution de chaque partie ; et quand on songe que c’est la main d’une femme qui a si vigoureusement déterminé ces contours et accusé ce modelé, on s’étonne à bon droit et du caractère d’un pareil talent et de la résolution avec laquelle ce