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ADELINE PROTAT.

— En effet, dit Lazare, vous avez mis la Madeleine dans le fond.

— Non, c’est le temple de Minerve. Ce portique ajoute beaucoup de noblesse au paysage.

Lazare salua rapidement son confrère, et continua sa route. Comme il descendait dans la gorge voisine, il aperçut un autre peintre qui émondait avec une serpe les bas rejetons d’un grand chêne posé en travers du chemin. Au même instant, Lazare entendit un craquement dans la membrure de l’arbre, et une branche détachée du tronc roula sur le sol avec fracas. — Est-ce assez comme cela ? criait le peintre à la serpe en se tournant du côté où l’un de ses confrères, une main abaissée sur les yeux, semblait de loin examiner l’effet produit par cette taille. — C’est assez, cria celui-ci.

Lazare demanda naïvement la raison de cette mutilation dont il ne comprenait pas le motif. — Ce chêne est d’un très beau style, comme vous pouvez le voir, répondit le paysagiste ; mais il avait une branche d’un dessin malheureux. C’était comme un membre cassé qui pendait le long du corps. Nous l’avons amputé ; aussi vous voyez comme il a gagné. On dirait un des hôtes majestueux de la forêt de Dodone.

— Mais, monsieur, lui dit Lazare, nous sommes dans la forêt de Fontainebleau. Si cette branche vous déplaisait, il fallait ne point la couper et la laisser pour les autres.

Une dernière surprise l’attendait à l’endroit même où il alla s’installer. Deux autres élèves de cette école grecque étaient occupés à faire la toilette d’une masse de rochers. L’un, armé d’une petite pelle, enlevait les végétations moussues, si riches de couleur quand le soleil les a brûlées, et qui étincellent comme des écrins lorsque la pluie les arrose. À l’aide d’un petit balai, le second paysagiste repoussait au loin les débris de cette tonte. Lorsque les deux rochers apparurent aux regards, privés de leur épaisse et verte fourrure, avec leur couleur grise et leurs angles nus, les deux paysagistes se frottèrent les mains avec un air de satisfaction. Lazare s’informa auprès d’eux de la raison qui les avait fait agir ainsi : on lui répondit que c’était pour mieux apprécier le style des blocs, qui disparaissait sous la mousse.

— Mais, dit Lazare à ses deux voisins, tout à l’heure vous aviez des rochers ; maintenant ce ne sont plus que des pierres de taille.

Cependant ses deux voisins s’étaient mis à leur besogne en même temps qu’il se mettait à la sienne. À la brusque façon dont il attaqua son ébauche, ses confrères s’aperçurent bien vite qu’il n’appartenait pas à leur école ; et comme ils avaient prononcé le nom de leur maître, Lazare ne put s’empêcher de s’écrier : — Votre maître a pourtant du talent et a produit de beaux ouvrages. Comment se fait-il ?...

Lazare s’aperçut qu’il avait une sottise au bout de la langue, et