Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
ADELINE PROTAT.

signe de tête, en même temps que Lazare lui demandait du regard pardon du rôle qu’il avait exigé de sa complaisance. Ce muet et rapide échange de pensées fut coupé par un cri terrible que venait de pousser Adeline. Voici ce qui était arrivé : distraite par d’autres idées, la fille du sabotier venait seulement de s’apercevoir que Lazare n’avait pas tenu la promesse qu’il lui avait faite en partant pour la forêt. En effet, quoiqu’il eût débouclé son sac pour se mettre au travail, il n’avait point pensé à mettre ses grandes guêtres. Dans la même seconde où elle constatait cet oubli, Adeline aperçut sur le grès du sentier, à deux pas de Lazare et dans la direction qu’elle suivait, quelque chose de noir qui se mouvait en rampant.

— Ah ! Lazare, retirez-vous, vite… une vipère !

Lazare, effrayé par ce cri et ne sachant dans quel sens venait le reptile, se porta au contraire en avant ; mais au même instant Adeline, plus prompte que lui, mettait son pied sur l’animal avant qu’il eût pu y poser le sien. Soudain Cécile la vit pâlir et mettre la main sur sa poitrine comme pour contenir un cri de douleur. C’était sur la queue de la bête qu’elle avait marché, et celle-ci, ayant redressé sa tête, avait roulé la partie supérieure de son corps autour de la jambe de la jeune fille, qui s’était sentie légèrement piquée. Un double cri de terreur sortit en même temps de la bouche de Cécile et de Lazare. Celui-ci, s’étant rapidement baissé, avait pris le reptile par le milieu du corps, et, avant qu’il eût pu être piqué à son tour, lui avait brisé la tête entre sa botte et la terre.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que faire ? Pauvre enfant ! s’écriait Cécile en regardant Adeline que l’effroi rendait immobile.

— Ne perdons ni la tête ni le temps, dit Lazare, qui était calme, mais pâle comme sa chemise ; puis, tirant de sa poche un couteau de campagne qui renfermait une petite paire de ciseaux, il les donna à Cécile, qui faisait respirer des sels à son amie.

— Laissez-la évanouie, continua l’artiste ; cela vaut mieux pour l’opération que je vais faire. Prenez mes ciseaux et coupez son bas. Moi, je vais examiner l’animal. Je ne sais si c’est réellement une vipère ou une couleuvre, disait l’artiste en baissant la tête.

— Mais Adeline est piquée ! voyez… dit Cécile en montrant sur la jambe de son amie un petit point rouge d’où sortait une goutte de sang.

— Aussi vais-je prendre des précautions, reprit Lazare en tirant de sa poche un petit flacon. Il le remit à Cécile. — Quand je vous dirai : versez, vous répandrez cela sur la blessure que je vais faire. C’est de l’alcali. Nous en avons toujours sur nous pour aller dans la forêt, et vous voyez que c’est utile.

Et Lazare, s’agenouillant auprès d’Adeline, lui maintint la jambe