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par la force brute. Il conseille l’établissement de cultures peu étendues, très soignées, dont les produits seraient portés à un manufacturier qui, concentrant ses soins et ses capitaux sur la fabrication seule, pourrait y introduire l’emploi des procédés les plus savans, des machines les plus perfectionnées.

L’amélioration des procédés est en effet ce qui contribuera le plus, en augmentant le rendement en sucre et par là les bénéfices, à dispenser les planteurs d’employer le travail esclave. Déjà de grands progrès ont été faits en ce sens : on a remédié, par exemple, à la perte produite par un feu vif et très prolongé, en faisant la cuite dans le vide, ce qui permet d’opérer l’évaporation à une température moins élevée. Le liquide, soustrait en partie, par la production d’un vide incomplet, au poids de l’atmosphère, se vaporise plus rapidement, et la liqueur sucrée n’a pas le temps de se détériorer. L’appareil le plus parfait est celui qu’a imaginé M. Derosne et qu’a perfectionné un Américain, M. Rillieux. Malheureusement, des renseignemens que j’ai recueillis dans le peu de sucreries que j’ai visitées, il semblerait résulter que cet appareil n’a pas produit jusqu’ici tout ce qu’on attendait ; il est fort coûteux, se dérange facilement, et alors il est très difficile à réparer. Le planteur, qui avait fait venir de Paris avec l’appareil un mécanicien pour le tenir en bon état, n’a pu cependant y parvenir. Tout en constatant ces mécomptes, je pense qu’ils ne doivent pas décourager ; le temps pourra y remédier, et de semblables difficultés de détails sont inhérentes à tous les perfectionnemens nouveaux. Les Hollandais ont, à ce qu’il semble, su tirer un meilleur parti de ces appareils dans leur colonie de Java. En 1846, il existait à Java sept usines à sucre fonctionnant par la méthode de Derosne et Cail ; l’installation de chacune a coûté environ 300,000 florins (525,000 francs), dont le gouvernement n’a pas hésité à faire l’avance[1]. Ce qui doit soutenir l’espoir des fabricans de sucre de canne, c’est ce qui s’est passé pour le sucre de betterave. Accueilli d’abord par le doute et la raillerie, puis atteint en France par la protection accordée au sucre colonial, il a su profiter du mouvement scientifique européen au centre duquel il était placé, et il a perfectionné ses procédés de manière à pouvoir lutter contre les désavantages de la position qui lui était faite. À l’origine, on ne tirait de la betterave qu’un dixième du sucre qu’elle contient ; aujourd’hui on est parvenu à en tirer les huit dixièmes[2], tandis qu’on n’obtient guère qu’un tiers du sucre que la canne renferme[3]. On voit que

  1. Annales Maritimes, Revue Coloniale, 3e série, XXXIe année, t. III, p. 616.
  2. Péligot, Rapport adressé à M. l’amiral Duperré sur des expériences relatives à la fabrication du sucre de canne, 1848, p. 91.
  3. Les fabricans de sucre obtiennent tout au plus de la canne 8 ou 6 pour 100 de sucre brut, et 2 ou 3 de mélasse, tandis que cette plante contient 18 pour 100 de matière sucrée. Péligot, sur la Composition chimique de la canne à sucre de la Martinique, 1840, p. 25.