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question des influences littéraires a donné lieu, il en est un dont les conséquences n’échappent à personne : c’est l’influence personnelle qu’aurait eue Louis XIV sur la littérature de son temps.

Si l’on veut dire simplement que le grand roi a été animé d’intentions excellentes à l’égard des gens de lettres, si surtout on veut parler de l’influence qu’il a eue sur leur bien-être (chose distincte du génie, quoi qu’en pensent certaines gens), sur ce point, nous n’avons aucune objection à faire. Seulement, nous nous réservons de démontrer que ces générosités si vantées n’étaient ni intelligentes, ni spontanées, ni surtout aussi abondantes qu’on le suppose à distance. Ce que nous contestons, c’est la part que l’on veut faire au roi dans la gloire littéraire du XVIIe siècle, de ce siècle qu’on a si improprement appelé le siècle de Louis XIV.

C’est à Voltaire surtout qu’il faut s’en prendre, et de cette dénomination inexacte, et de toutes les erreurs historiques qui en sont résultées. Grâce à lui, le siècle de Louis XIV est pour bien des gens le XVIIe siècle tout entier, et l’on ne songe point que c’est seulement en 1661 que Louis XIV commença à régner par lui-même, que la seconde moitié de ce siècle et les quinze premières années du siècle suivant peuvent bien lui appartenir, mais que l’époque antérieure, aussi glorieuse, ce me semble, est celle de Richelieu et de Mazarin. Ce titre seul, le Siècle de Louis XIV, donné à un ouvrage qui n’est que l’histoire du règne et non du siècle, a suffi pour populariser cette erreur, et dans le courant de son livre Voltaire a tout fait pour la fortifier. Sans doute l’admiration excessive de l’historien pour le prédécesseur de Louis XV était sincère, et ce n’est point par courtisanerie que, dans un livre publié à Berlin où il s’était réfugié, il exalte avec tant d’enthousiasme un règne dont en France même on commençait à parler avec une certaine liberté ; peut-être n’était-il pas fâché, au contraire, d’opposer le tableau fort embelli de la faveur dont avaient joui jadis les grands écrivains aux persécutions qu’ils éprouvaient de son temps, tout au moins à l’indifférence de Louis XV pour les œuvres de la pensée.

Quoi qu’il en soit, ouvrez le livre de Voltaire ; vous y trouverez la plus singulière confusion : on y voit mentionnés les plus grands peintres français, Lesueur et Poussin, parmi les artistes célèbres du temps de Louis XIV. Or Lesueur était mort six ans avant 1661 ; Poussin mourut quatre ans après cette date, à Rome, où il vivait depuis plusieurs années, loin de l’envie et des cabales qui l’avaient chassé de France. Dans la même liste vous rencontrerez jusqu’à Descartes, mort en Suède onze ans plus tôt. Etonnez-vous après cela d’y voir figurer Corneille, qui avait, à cette date de 1661, écrit depuis longtemps tous ses chefs-d’œuvre, et Pascal, dont les Provinciales