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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/129

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ADELINE PROTAT.

Et pendant que la jeune fille se prosternait, comme pour demander grâce à ses ennemis, le curé étendait ses mains sur son front.

Un grand silence s’était fait, et beaucoup de ceux qui s’étaient montrés les plus furieux tombèrent à genoux. Ce fut alors que la fenêtre inférieure s’ouvrit brusquement, donnant passage au sabotier, qui venait de sauter dans la rue. Protat était terrible, et faisait tournoyer au-dessus de sa tête un merlin dont il s’était armé. Cent cris de terreur accueillirent cette apparition.

— Criez, dit Protat, criez, mais j’en tuerai un, je l’ai dit !

Et au même instant où il empoignait au collet le premier assaillant qui lui était tombé sous la main, il sentit son bras arrêté par un poignet vigoureux.

— Pas avant moi, lui dit une voix.

— Monsieur Lazare, s’écria le sabotier, allez-vous-en ! J’ai un malheur dans la main, il pourrait tomber sur vous. Je suis père, il faut que je venge ma fille !

— Un mari, dit Lazare, est le premier protecteur de sa femme.

Pendant ce colloque, le paysan que Protat venait de menacer s’était échappé, et la rue était restée vide. En voyant le sabotier paraître, le curé avait deviné son dessein, et était descendu pour empêcher une scène sanglante.

— Monsieur Lazare, dit-il au jeune homme, montez là-haut donner à cette pauvre enfant le courage de son bonheur. — Et vous, Protat, ajouta le prêtre, qui n’avait pas encore eu le temps de révéler au sabotier le but de sa visite, écoutez-moi. — Et il lui raconta tout ce qui s’était passé entre lui et l’artiste dans le jardin du presbytère.


Quatre ou cinq jours après les événemens que nous venons de raconter, tous les personnages de ce récit, moins Zéphyr, étaient présens dans la salle à manger. C’était à la fin du repas. Tout à coup parut sur le seuil l’apprenti, que depuis quatre jours on n’avait pas vu. Zéphyr s’était facilement laissé accaparer par les jeunes paysagistes gentilshommes de l’académie de Marlotte. L’un d’eux, qui connaissait le propriétaire du château de Bourron, y avait présenté l’apprenti, venu là chargé de tous les ouvrages qu’il avait montrés à Lazare dans la grotte des Longs-Rochers. Tous ces objets avaient été vendus par lui des prix fous. Retenu comme une curiosité au milieu de l’élégante société parisienne qui habitait alors le château de Bourron, abusé par les éloges qu’il entendait à chaque instant murmurer à ses oreilles, caressé par de jolies dames pour l’oisiveté desquelles il était un amusement, Zéphyr était sorti de cette maison le cœur plein d’orgueil et les poches pleines d’or. Pendant quatre jours, il