Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
REVUE DES DEUX MONDES.

ferai connaître que vous l’aimez : si étonné qu’il sera de se trouver sur mes lèvres, c’est avec joie que je me charge de ce message, parti d’un cœur honnête pour être redit à une oreille chaste.

En sortant du jardin où cet entretien avait eu lieu, l’abbé se dirigea vers la maison du sabotier, tandis que Lazare allait l’attendre dans cette même prairie aux foins où la veille il avait fait ce rêve dont le curé allait hâter la réalisation.

Comme Lazare traversait le petit pont suspendu qui joint les deux rives du Loing, il fut arrêté brusquement par un bruit singulier au milieu duquel il distinguait d’étranges sonorités métalliques que dominaient de grossissantes clameurs, déchirées de temps en temps par des sifflets aigus. S’étant rapproché du lieu où mugissait cet épouvantable concert, l’artiste crut deviner que les exécutans étaient réunis sous les fenêtres de la maison de Protat. Alarmé, et sans rien comprendre à ce qui se passait, Lazare revint sur ses pas. Au fur et à mesure qu'il se rapprochait, le bruit redoublait, et après un vigoureux ensemble de clameurs où les voix et les instrumens se réunissait dans un désaccord prémédité, — comme des choristes qui sont restés en retard, des bouches avinées vomissaient une injure solitaire.

C’était l’explosion de la mine préparée la veille par M. Julien à la Maison-Blanche. Les trois paysans dont il avait fait des meneurs en excitant leur convoitise avaient embauché tous les mauvais sujets du pays, et, au nom de la morale, en avaient fait les auxiliaires de leur projet de vengeance.

On donnait un charivari à Adeline. Comme tous les chefs, M. Julien se tenait par derrière. — Des chaudrons et des cris tant que vous voudrez, disait-il. mais pas de voies de fait, et tenez-vous dans la rue.

— Soyons légaux !

Mais la bande, irritée par le silence dédaigneux qui régnait dans la maison du sabotier, méconnaissait les ordres prudens de son chef, et déjà les pierres commençaient à voler dans les vitres. Au milieu de ce tumulte, les vitres s’éclairèrent dans la chambre de Protat, et la fenêtre s’ouvrit aussitôt. Les chaudrons recommencèrent leur épouvantable charivari, accompagnant une bordée d’injures. Tout à coup, dans la partie éclairée de la croisée et comme au centre d’un cadre lumineux, parut le cure de Montigny tenant Adeline entre ses bras, le visage penché sur sa poitrine.

— Ne jetez plus de pierre, dit le prêtre à voix haute ; vous avez failli tuer une mourante.

Les assaillans reculèrent, terrifiés par cette apparition.

— Mon enfant, continua l’abbé en s’adressant à Adeline et en lui désignant la foule, Dieu a commandé l’oubli des injures ; pardonnez à ces malheureux comme moi-même je vous bénis.