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l’on voulait copier, à mettre un nouveau mot dans les formules qui avaient cours. Et quand on n’avait pas eu la ressource de savoir, connue Chabanon, jouer du violon, d’avoir fréquenté longtemps les sociétés et les bureaux d’esprit, il fallait pour se faire connaître débuter comme le Cousin Jacques, qui avait une foule d’idées originales et qui ne put attirer l’attention sur lui qu’au moyen d’un impromptu. Il semblait que cette littérature n’eût pas de plus hautes destinées que d’enregistrer ces modes extravagantes qui naissaient et se remplaçaient au gré du moindre événement. En vain Mercier et Rétif essayèrent-ils d’y introduire un peu de vérité et de variété, l’élément populaire et l’étude des mœurs bourgeoises : ces élémens étaient hostiles à l’essence même de cette littérature, et ni l’un ni l’autre n’avaient ni assez de génie ni assez de foi surtout pour faire prévaloir un nouvel art intellectuel. C’était une révolution, non une réforme qu’il fallait ; la littérature ne pouvait être corrigée. Tout au plus devait-elle subir quelques réactions fugitives et rendues inutiles d’ailleurs par leurs propres exagérations : Collé, Vadé, Piis, Barré, l’engouement pour la littérature poissarde et les farces des tréteaux constatent pauvrement cette réaction contre le convenu.

Telle était cette poésie légère que la nouvelle Bibliothèque de l’esprit français présente à notre admiration dans la personne de Boufflers. Celui-ci pourtant en avait été plutôt la victime que le disciple ; elle l’avait doucement amené à cette sorte d’idiotisme qui est en elle, à ce rétrécissement graduel des facultés qui finit par l’étude approfondie des rimes riches et l’enthousiasme consciencieux des phrases grimaçantes, dans ces termes, je l’avoue, Boufflers représente parfaitement la poésie légère. C’était un cœur simple et bon, noble et généreux, et sa vie s’est passée à railler toutes ces vertus. Il a fini lui-même par le ridicule ; sa carrière est restée le synonyme d’une longue oisiveté, d’une longue inconséquence, et il ne montre à l’histoire aucune des qualités propres à lui et à sa race. Son esprit délicat, élégant et vif, était soutenu par une certaine énergie de bon sens, par une sorte, d’observation qui pouvait descendre jusqu’à mi-chemin du cœur, et trouver là une sensibilité réelle avec un résumé vif et hardi de ses études ; mais il vécut dans une atmosphère malsaine, il était par-dessus tout impressionnable, et la poésie légère, en fit son martyr. Sa gaieté devint pénible et comme réfléchie, bizarre et contournée ; son esprit élégant et délicat, devenu brutal et impudent, l’emporta à la recherche constante de l’obscénité, de la plus étrange impiété, et Boufflers en vint à rimer ingénieusement sur la corruption de sa mère. Les charades, les énigmes, les bouts-rimés, l’enivrement constant du jeu de mots, dévorèrent son bon sens ; son observation s’arrêta aux conversations de boudoirs ; il ne comprit plus d’autres sentimens que ceux qui voltigeaient déguisés en amours sur les éventails du temps. Il fut entraîné à une imitation continue ; il imita l’esprit de Grammont, il imita l’esprit des Contes de Voltaire, cette sorte de trait vif et inattendu qui n’est souvent qu’un trompe-l’œil, et qui procède par l’absence recherchée de transition entre les idées ; il imita enfin la poésie, légère, et l’imitation était tellement l’essence de ce genre, qu’il y devint un maître. Il ne pensa jamais à l’amour avec son cœur, mais avec sa tête ; jamais il n’arriva, et c’est le vice radical de ceux de son école, à la profondeur du sentiment, il n’arriva qu’à