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La femme du vieux Coulm[1], vieille aussi, murmurait,
Comme pour épancher quelque étrange secret :

i.


« Je te brave, tempête ! Ici, je ferai seule
L’œuvre qu’en sa jeunesse a faite mon aïeule,
Quand devant elle, honneur du pays de Léon,
L’Océan dut courber sa tête de lion.

ii.


Travaille, mon balai, travaille ! Il est des charmes
Plus sûrs que les soupirs et plus sûrs que les larmes,
Charmes aimés du ciel et qui forcent les vents
Insensés et les flots d’épargner nos enfans.

iii.


Mon ange le sait bien : je ne suis point païenne,
Ni sorcière ; je suis une femme chrétienne :
Aussi je veux jeter aux quatre vents de Dieu,
Pour dompter leur fureur, la poudre du saint lieu.

iv.


Travaille, mon balai ! Par des vertus pareilles
Souvent j’ai dans les airs dispersé les abeilles ;
Oui, mon vieux Colomban, demain tu reviendras,
Et vous, mes trois enfans, vous serez dans mes bras ! »

Mais dans le port d’Enn-Tell, le long de la jetée,
La foule se pressait, muette, épouvantée,
Et, voyant les éclairs bleuir, la mer houler,
Et le ciel, d’un plomb noir, comme près de crouler,
Chacun priait ; les mains échangeaient des étreintes ;
La superstition faisait taire les craintes.
Pourtant, dès qu’un bateau sauvé rentrait au port,
Tous, en criant, d’aller effarés sur le bord :
— « Mon père, est-ce bien vous ? Parlez vite, mon père ! »
D’autres : — « Avez-vous vu mon fils ? Et vous, mon frère ? »

  1. Abbréviation de Colomban