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modération tient moins au fond des choses qu’à la manière dont elles sont exprimées, moins aux prétentions que le message affiche qu’au ton équivoque et aux expressions vagues et assez peu claires dans lesquelles ces prétentions sont enveloppées. Les projets les plus audacieux sont exprimés avec une modestie désespérante, les désirs les plus belliqueux sont exprimés presque avec timidité. Ce discours n’annonce pas bruyamment que c’en est fait de l’ancienne politique américaine ; il est comme une oraison, funèbre prononcée sur la tombe d’un adversaire, il laisse tout craindre aux partisans de cette politique traditionnelle, et ne leur laisse rien espérer. À toutes les questions de conquête, le général Pierce n’a guère qu’une réponse : — Cela dépendra du temps et des circonstances : il faut savoir choisir son moment ; si les évènemens sont favorables, nous verrons. Ainsi ces questions ne sont plus des questions qui intéressent les lois du juste et de l’injuste ; elles seront résolues selon les lois du hasard et les chances de la loterie politique. Dans les questions d’intervention, M. Pierce déclare que les États-Unis ne peuvent offrir aux peuples étrangers que l’exemple de leurs institutions et leurs sympathies politiques ; cependant, si quelque peuple opprimé faisait appel à leur secours, on pourrait, selon les circonstances, intervenir ou s’abstenir. La république américaine désire vivre en paix avec les états du nouveau continent, elle ne se reconnaît pas le droit d’intervenir dans leurs affaires ; mais si quelqu’un de ces états consentait à aliéner son indépendance, s’il se donnait à quelque puissance de l’Europe, la république ne le permettrait pas et opposerait son veto en vertu de la doctrine de Monroë. M. Pierce promet aux Américains établis dans les pays étrangers la protection la plus efficace, et répète sous une nouvelle forme le fameux mot de lord Palmerston : Civis romanus sum. Il engage donc les citoyens américains à regarder partout la constitution comme leur palladium, et ajoute avec humilité que le serviteur qu’ils auront laissé chez eux ne cessera d’avoir les yeux ouverts et de veiller à leur sécurité au dehors. Il reconnaît que l’étendue de l’Union américaine est triple aujourd’hui de ce qu’elle était au commencement ; mais cet immense progrès n’a servi, selon lui, qu’à prouver une chose, la possibilité de s’étendre sans cesse sans rien perdre en liberté constitutionnelle et sans que le gouvernement républicain ait à craindre d’être altéré. Par conséquent de nouvelles conquêtes ne peuvent pas être un sujet d’alarme ; plus les États-Unis s’étendront, plus ils seront puissans. Voilà en résumé la substance du discours ambigu de M. Pierce. Nous ne pouvons nous empêcher de faire à ce sujet une triste réflexion : « c’est que depuis cinq ans la politique, et l’histoire du monde elle-même semblent tourner le dos à la civilisation. Après les excès des peuples en 1848 et en 1849, les insurrections, les assassinats et autres actes de barbarie, nous avons maintenant les excès des gouvernemens. Véritablement il serait difficile à un homme impartial de choisir entre ces deux espèces d’excès. Le message de. M. Pierce fait un digne pendant à l’ambassade du prince Menschikoff. Des deux côtés, c’est la même ambiguïté, le même appel à la force, mal déguisé sous des mots d’intérêts publics et d’honneur national. Et cependant, nous le répétons, il faut savoir gré à M. Pierce de la modération relative de son message. Lui au moins fait assez entendre qu’il ne se décidera à la conquête qu’autant que les circonstances seront favorables. Il laisse donc une porte ouverte à la paix que tout autre représentant