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ensuite, par ces mêmes mœurs, préservé la liberté de tout excès. En France, cet élément à la fois libéral et conservateur nous a manqué. De nos jours, comme autrefois, l’abandon des campagnes par les propriétaires a fait, même en politique, presque tout le mal, et voilà comment ces deux causes de prospérité, distinctes en apparence, la liberté sans révolutions et l’esprit rural, n’en font qu’une en réalité.


II

J’arrive enfin à la plus immédiate, la plus effective des causes qui ont concouru au développement de l’agriculture britannique ; c’est le développement simultané de la plus puissante industrie et du plus riche commerce du monde. Au fond, cette cause ne fait encore qu’une avec les précédentes, car l’industrie et le commerce sont, comme l’agriculture elle-même, des enfans de la liberté, de l’ordre et de la paix, et ces conditions premières étant en grande partie l’œuvre de la nation rurale, tout découle de cette source commune. Mais, de même que les conséquences de la liberté et de la paix se distinguent dans les faits de celles de la vie rurale proprement dite, de même celles du développement industriel et commercial peuvent se constater à part, et ce sont les plus actives. S’il était possible d’établir dans une nation un grand commerce et une grande industrie sans sécurité ni liberté, cette cause suffirait à elle seule pour amener une grande richesse agricole, et s’il était possible qu’une nation fût libre et tranquille sans devenir par ce seul fait industrielle et commerciale, la liberté et la paix ne suffiraient pas, même avec l’aide des mœurs rurales, à produire également cette richesse.

Quelques esprits, plus frappés des apparences que du fond des choses, ont cru voir dans le commerce et l’industrie des ennemis et des rivaux pour l’agriculture. Cette erreur fatale est notamment répandue en France : on ne saurait trop la combattre, car il n’en est pas de plus nuisible aux intérêts agricoles. En réalité, la distinction entre l’agriculture et l’industrie est fausse : c’est aussi une industrie que la mise en valeur du sol ; c’est aussi un commerce que le transport, la vente et l’achat des produits ruraux. Seulement, cette industrie et ce commerce, étant tout à fait de première nécessité, peuvent un peu plus se passer d’habileté et de capital que les autres, mais alors ils restent dans l’enfance, et, quand ces deux puissans secours ne leur manquent pas, ils deviennent cent fois plus féconds. Même en admettant la distinction que l’usage met entre les termes, il ne peut pas y avoir de riche agriculture sans riche industrie. C’est là une vérité en quelque sorte mathématique, car le commerce et l’industrie peuvent seuls fournir avec abondance à l’agriculture les deux