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I. — GRAVURE EN TAILLE-DOUCE.

De tous les procédés de gravure successivement découverts, la gravure en taille-douce est, personne ne L’ignore, celui qui présente le plus de difficultés, mais c’est aussi celui qui a le plus de valeur réelle et d’importance. Les conditions qui régissent l’emploi du burin sont les conditions de l’art lui-même dans son acception la plus haute, et l’on peut dire que cet art se résume tout entier dans un mode d’exécution qui nécessite plus qu’aucun autre l’intelligence profonde du modèle, l’étude de la forme et la science de l’harmonie. Comme les divers genres de gravure, la gravure en taille-douce n’a que deux élémens d’effet, le dessin et le clair-obscur, deux moyens de coloris, le ton primitif de la surface sur laquelle on opère, et le ton que reçoivent par l’impression les sillons préalablement creusés ; mais, contrairement à l’aqua-tinte et à la manière noire, elle ne peut distribuer les masses d’ombre et de lumière qu’en resserrant plus ou moins les séries détailles et les lignes diversement entrecroisées, ou, pour parler bref, elle ne procède que par traits. On conçoit ce qu’il faut à l’artiste de goût, de patience et d’habileté pour dissimuler des opérations forcément compliquées sous une apparence conforme à l’aspect simple de la nature, et pour réussir à faire illusion là où peuvent se trahir d’abord les calculs arides et le côté conventionnel du métier. La sagesse de la méthode, le sentiment exact des ressources du genre ont été de tout temps des qualités particulières à notre école, et, sauf quelques erreurs momentanées, les graveurs français, depuis deux siècles, ont fait de la modération dans la manœuvre la marque distinctive de leurs travaux. Aujourd’hui encore la gravure en taille-douce est pratiquée dans notre pays, sinon avec le même succès qu’au temps de Nanteuil et d’Edelinck, du moins en vertu des mêmes principes, et, parmi les hommes qui défendent ces principes fondamentaux de l’art, il en est quelques-uns dont les noms pourraient être inscrits bien près des noms de nos anciens maîtres.

Deux artistes surtout, MM. Desnoyers et Henriquel-Dupont, semblent appartenir à cette race de talens calmes sans froideur et savans sans ostentation qui, depuis le règne de Louis XIV, se sont perpétués en France. Tous deux méritent une place à part entre les graveurs contemporains, et doivent être considérés comme les chefs de l’école moderne. Ce n’est pas toutefois que leur mérite soit expressément de même nature et que leurs œuvres aient les mêmes titres à l’estime : par le sentiment secret aussi bien que par le choix des modèles, ces œuvres révèlent chez leurs auteurs une certaine différence d’organisation et de goût, et, quoique inspirées au fond par des doctrines semblables, elles laissent voir dans le mode d’interprétation quelque chose de distinctif et d’individuel. M. Desnoyers recherche avant tout et réussit le plus souvent à trouver l’ampleur et la noblesse de la forme. Sa manière sobre et large, — très française en ce sens qu’elle procède de la raison plus encore que de la verve, — est celle d’un dessinateur sévère qui n’accepte le ton que comme moyen complémentaire et non comme élément principal ; ses ouvrages, exécutés pour la plupart d’après les maîtres de l’école italienne,