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vient exciter ses ombrages et lorsque la violence semble être le seul moyen possible de succès. Cette puissance, qui s’était résignée à la conquête de l’Algérie, a pris les armes en 1840 (et depuis la paix de 1815 c’est peut-être la seule démonstration énergique qu’elle ait faite en Europe), lorsque Méhémet-Ali voulut secouer définitivement le joug du sultan. C’est que l’Algérie ne confine qu’à des déserts, tandis que l’Égypte est une des clés de l’Inde ; c’est qu’en 1840 l’Angleterre craignait, non pas que Méhémet-Ali fût indépendant, mais que son fragile empire ne vînt à passer aux mains d’anciens rivaux qui eussent pu en faire une base d’opérations pour agir sur le monde asiatique. Cette puissance, qui en 1815, au moment où la diplomatie remaniait la carte du continent, se montra si indifférente, pour son propre compte, à tous les agrandissemens territoriaux en Europe, et ne songea même pas à assurer la perpétuité de sa domination sur le Hanovre, satisfaction que personne n’eût songé sans doute alors à lui refuser, cette puissance vous disputera avec acharnement le rocher le plus stérile perdu au milieu des mers. Si votre commerce prospère au Sénégal et dans la Gambie, elle vous cherchera chicane à Portendic, elle fera tout ce qu’elle pourra pour ruiner votre établissement d’Albreda. Vous ne trouveriez peut-être pas aujourd’hui sur la terre un scheik, un roi nègre, un chef de sauvages, avec lequel sa vigilance n’ait conclu des traités de commerce et d’alliance offensive et défensive, en vertu desquels elle viendra se jeter à la traverse de tous vos projets. Si vous voulez prendre pied à la Nouvelle-Zélande, elle saura vous prévenir, vos navires en arrivant trouveront le pavillon anglais flottant sur le rivage où vous vouliez planter le vôtre, ou si par hasard vous la gagnez de vitesse, elle vous fera, pour l’établissement de votre protectorat à Tahiti, une querelle plus vive que pour la conquête même d’Alger. Quant à elle, rien ne l’arrête, ou bien peu de chose du moins. Ce n’est pas qu’elle agisse d’ordinaire, comme tant de gens affectent de le croire, par la violence ou par la ruse. — Non ; mais dans cet univers barbare ou corrompu avec lequel vous n’avez pour ainsi dire aucun rapport, elle a, elle, des intérêts sérieux, positifs, de tous les jours, qui lui fournissent sans cesse de nouveaux griefs et de nouvelles raisons d’intervenir ou de revendiquer quelque chose partout. Ici c’est un navire pillé, comme à Aden ; là ce sont des matelots assassinés, comme il est arrivé cent fois sur les côtes de Bornéo et dans les mers de la Malaisie ; ailleurs, ce sont des nationaux spoliés, rançonnés, maltraités, comme c’est le cas chez les Birmans, qui, dans cette nouvelle guerre, perdront encore quelques-unes des provinces de leur empire, le Pegu par exemple ; ailleurs encore, ce sont des engagemens solennels qui sont violés de la manière la plus insolente et la plus folle à la fois,