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usurpation ? Si elle prétend prendre au sérieux cette pitoyable comédie du protectorat des Mosquitos, c’est peut-être pis encore. Dans quelle jurisprudence, devant quels tribunaux le tuteur a-t-il le droit de faire des générosités de la fortune de son pupille ? De quel droit l’Angleterre renonce-t-elle au plus beau fleuron de la couronne de son protégé, et cela sans songer même à lui obtenir quelque petite indemnité ? Je sais bien qu’avec quelques litres de tafia on obtiendra facilement raison du pauvre diable, et que l’on croira peut-être encore être généreux en le payant ainsi pour lui faire mettre sa croix au bas d’un acte authentique, en bonne et due forme, par lequel il remerciera humblement l’Angleterre de toutes les peines qu’elle a prises pour la gloire de son règne et pour la bonne administration de sa fortune ; mais cela ne prouvera pas que toute cette histoire soit bien morale, et qu’il vaille la peine d’acheter à ce prix l’avantage d’être désormais en règle pour empêcher que le canal inter-océanique devienne la propriété exclusive des États-Unis ?

La figure que font dans cette affaire les États-Unis est moins bonne encore que celle de l’Angleterre, et en définitive on devrait croire qu’ils en sortiront brouillés et compromis avec toutes les parties intéressées. L’Angleterre a du moins sur eux cette supériorité, si toutefois c’en est une, d’avoir plus franchement avoué son égoïsme et la préoccupation exclusive de ses intérêts politiques et commerciaux. Si elle a parlé de droit et de moralité publique, c’était tout juste ce qu’il en fallait pour tâcher de sauver les apparences, comme le ferait un plaideur de mauvaise foi, qui, espérant toujours trouver quelque petit bénéfice à soutenir son procès, ne fût-ce que celui de gagner du temps, en est réduit à invoquer des faits douteux et un point de droit obscur, mais ne fait pas mystère de la valeur des argumens sur lesquels il s’appuie. Ce n’est pas ainsi que les États-Unis se sont lancés dans cette affaire, c’est en qualité de redresseur des torts qu’ils ont d’abord voulu y jouer leur rôle. Eux qui regardent la vieille Europe comme si arriérée et qui se vantent d’avoir découvert ou perfectionné tant de choses, ils ont inventé un certain droit américain en vertu duquel ils se prétendent engagés par avance non-seulement à empêcher toute conquête nouvelle de l’Europe sur le continent de l’Amérique, mais encore à faire disparaître ses drapeaux des points où ils flottent encore, et surtout à combattre toute immixtion de sa part dans les affaires du Nouveau-Monde. Dans la pratique, on sait comment cette jurisprudence est appliquée, les tentatives dirigées contre la Havane nous l’ont appris ; dans la théorie, dans la discussion publique, cela s’appelle le principe ou la doctrine du président Monroë.

L’occasion était belle à coup sûr pour la faire valoir, et d’abord on