Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opérer à l’autre extrémité de la province. Il n’y avait plus rien qui pût me retenir dans le pays où m’avait amené l’invitation du colonel ; je me disposai donc à partir avec l’armée, et à la suivre dans sa marche vers la Tchétchénia occidentale.

Mon séjour dans la forteresse de Vnézapné me laissait mieux que d’agréables souvenirs : j’avais pu, soit par mes conversations avec les officiers russes, soit par mes propres observations, me faire une idée tout à la fois du théâtre de la guerre du Caucase et du système d’opérations qu’elle impose à la Russie. Cette vie de forteresse, dont j’avais partagé pendant trois mois les travaux et les privations, n’est qu’une des faces, la plus sévère peut-être, du tableau qu’offre cette guerre où la patience et la bravoure, deux des vertus distinctives du peuple russe, sont tour à tour si rudement éprouvées. La garde des frontières n’est ici qu’une moitié de la tâche à remplir, et c’est par des moyens plus énergiques qu’on s’efforce aujourd’hui de mener cette tâche à bien. Le théâtre principal des opérations de l’armée russe est divisé en trois zones, désignées par les noms de centre, flanc gauche et flanc droit. Le centre, qui comprend tout le pays situé entre, le Térek et le Kouban, peut être regardé maintenant comme soumis. Ce, n’est qu’aux deux flancs, — l’un qui s’étend à l’est jusqu’au Soulak, l’autre à l’ouest jusqu’à la Mer-Noire, — que la lutte se poursuit, et c’est sur le flanc de l’est, où les Russes sont en face de Shamyl, qu’elle prend un caractère particulier d’acharnement. Ce chef, en faisant, pour ainsi dire, pivoter ses bandes sur des rochers inaccessibles, peut, avec une égale rapidité, se porter au nord, vers le Térek, et à l’est, vers les côtes de la Caspienne. On a fait de nombreuses expéditions dans l’intérieur de ce qu’on peut appeler les possessions de Shamyl ; on a pris quelques villages, on en a détruit d’autres. Aujourd’hui les Russes semblent avoir renoncé à garder ces positions trop avancées dans les montagnes ; ils n’ont conservé que les aouls situés sur la rive droite du Soulak, abandonnant tous ceux dont ils s’étaient emparés au-delà de cette rivière. Il est vraisemblable qu’ils ont choisi ce cours d’eau comme limite de leur occupation dans le Daghestan. Le plan qu’ils suivent depuis quelques années consiste à enfermer le plus strictement possible l’ennemi dans les hautes régions montagneuses en lui enlevant progressivement toutes les terres mieux situées où il pourrait trouver des ressources pour son existence. Shamyl et les populations qui lui sont soumises ont vu leurs courses entravées du côté de l’Asie, où dans une partie de la montagne la Russie est déjà souveraine ; il reste à les enserrer du côté du nord, c’est-à-dire à leur enlever toute la Tchétchénia, et tel est le but des opérations actuelles du prince Bariatinski dans cette province. Grâce à ce nouveau système, la vie des