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téméraires prendront plaisir à les déguiser sous le costume des chanteurs d’un autre âge. Tantôt enfin, si l’auteur parle en son nom, ce sera dans la forme du récit ; il demandera ses inspirations à l’histoire, il placera une idylle ou un drame dans le cadre sévère de la réalité ; Hermann et Dorothée sera pour lui un modèle dont il tentera de s’approprier les richesses.

Cette idée d’une journée meilleure qui commence, un poète des plus distingués nous la fournit. Nous avons montré[1] comment tout un groupe d’écrivains, fidèle organe des préoccupations publiques, insistait sur la nécessité d’un renouvellement moral. Ces écrivains suivaient des directions absolument contraires, et cependant ils sont arrivés à une même conclusion, à celle que M. Berthold Auerbach inscrit dans le titre de son roman : Vie nouvelle. Voici un poète habile, M. Franz Dingelstedt, qui exprime aussi cette pensée ; son livre est intitulé Nuit et Matin, M. Dingelstedt avait conquis sans peine une des premières places parmi les Tyrtées qui firent tant de bruit il y a dix ans, et si quelqu’un eût pu épargner à ce bataillon indiscipliné les échecs littéraires auxquels il s’exposait, c’était sans doute ce ferme et délicat écrivain. Tandis que M. Herwegh se perdait à tout propos dans de belliqueuses déclamations, tandis que M. Prutz appelait à son aide tous les procédés d’une rhétorique sonore, M. Dingelstedt s’appliquait à transformer en de beaux symboles les passions politiques dont il était l’écho. Il s’était donné le rôle du veilleur de nuit. Sa trompe à la main, il allait par les rues de la cité, en sonnant les heures monotones. C’est sous ce costume qu’il chantait, tantôt proférant des plaintes sombres, tantôt signalant à l’horizon la lueur pale et lointaine qui annonçait le retour de l’aube. Maintenant les ombres sont dissipées :

« Le veilleur qui a chanté la nuit, la longue nuit d’hiver de l’Allemagne, est aujourd’hui, dans le crépuscule du matin, le héraut de la journée qui se lève. Des derniers accens de ces Lieder, il salue à pleine voix la jeune lumière, la lumière qui jaillit éclatante, déchirant les voiles ténébreux de l’obscurité.

« Oui, la lumière ! — Elle est descendue, rouge comme le sang, de toutes les cimes de nos montagnes. Ce n’est pas la flûte paisible du berger qui l’a reçue, c’est le chœur strident des clairons. Enfin le voici au ciel, le voici clair et brillant, ce jour que nous croyions encore si loin ! Il porte une couronne de fraîches roses, et la rosée, comme une huile sainte, a sacré sa tête victorieuse.

« Si maintenant, en nos plaines qu’ont foulées tant de batailles, sa splendeur semble parfois pâlir, masquée par l’ombre errante et froide des nuages que chasse le vent, si nous voyons venir les tristes saisons où le soleil brille rapidement et s’enfuit, — plus d’erreur pour nous et plus de crainte ! Le jour, nous le savons, le jour règne dans les cieux !

« Vienne aussi, ô terre d’Allemagne, vienne aussi le jour splendide pour tes chanteurs ! Qu’il n’en reste plus un seul dans les ténébreuses retraites de la nuit ! que toute force et tout élan s’unissent à la grande communauté ! qu’au centre du siècle, qu’au sein de la vie, qu’au cœur même de la nation l’art apparaisse régénéré !

« Pour nous qui, obsédés de songes et enveloppés d’ombres nocturnes, vous

  1. Voyez, dans la livraison du 1er février 1853, la première partie de cette étude, les Tendances nouvelles du Roman.