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de coterie le plus mesquin, et les avocats firent aux fonctionnaires une guerre dont le triste spectacle ne fut dépassé que par celui de la lutte qu’ils s’entendirent les uns et les autres pour organiser contre les membres du clergé. La loi électorale sortit mutilée de ces tiraillemens honteux[1], et la question de la seconde liste du jury resta suspendue sur la tête du pouvoir, qui eut le malheur d’en méconnaître la gravité jusqu’au jour où elle servit de rempart pour couvrir les hommes qui marchaient à l’assaut de la société. Un gouvernement blesse toujours l’instinct public en refusant les concessions qui sortent logiquement de son principe. Placée entre deux partis qui s’entendaient alors pour invoquer le suffrage universel, la monarchie de 1830 avait, d’ailleurs bien plus d’intérêt à élargir sa base qu’à la restreindre, à réunir les classes moyennes qu’à les diviser. Si l’adjonction de la seconde liste du jury à la liste électorale ne valait certes pas une révolution, elle n’aurait probablement pas été sans quelque influence pour la prévenir.

Cependant la loi électorale de 1831 fut, à bien d’autres points de vue, l’écueil du gouvernement nouveau, et dans son texte même elle laisse trop bien apercevoir ce qu’il y avait d’imprévoyance politique chez les hommes portés aux affaires par la crise de juillet. Dans les longs débats qui précédèrent l’adoption de cette loi organique, personne n’agita la convenance de modifier le système de l’élection directe, qui, par l’effet de la victoire désormais incontestée des classes moyennes, allait devenir un privilège tout personnel plutôt qu’un droit politique ; on n’élargit ni ses plans ni ses perspectives, et l’on resta invariablement confiné dans le cercle tracé par l’ancienne opposition. Au lieu d’atténuer les inconvéniens de l’élection directe, on parut prendre plaisir à les aggraver encore, en créant des circonscriptions d’arrondissement et des collèges de cent cinquante électeurs, on plaçait en effet les députés dans une dépendance étroite et toute personnelle de leurs commettans ; on liait la destinée des hommes publics, quelle que pût être leur importance, aux intérêts et aux caprices d’un petit nombre de familles, et pour protéger la chambre contre les inspirations de l’esprit de parti, on la livrait à la tyrannie de l’esprit de localité. Par la situation qu’il faisait aux mandataires du pays, le pouvoir provoquait l’ingérence de la chambre dans la disposition des plus petits emplois publics, et en perdant pour lui-même le bénéfice de sa principale prérogative, il préparait partout cette sourde opposition de la puissance administrative contre la puissance parlementaire, l’une des causes les moins soupçonnées, mais les plus réelles du discrédit sous lequel devait s’abattre un jour le

  1. Loi du 19 avril 1831.