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dialectiques, où la métaphysique s’infiltre peu à peu et finit par passer tout entière.

La question de l’influence philosophique de saint Anselme revient donc, et nous commencerons par convenir qu’au moyen âge elle n’a pas été très considérable. D’abord la grande lutte intellectuelle du temps, celle des réalistes et des nominaux, commençait à peine. Le problème n’avait point été envisagé dans ses profondeurs, et le réalisme de saint Anselme se réduit, théologie à part, à quelques lignes de peu d’intérêt. De plus, la démonstration a priori de l’existence de Dieu, qui est le titre philosophique le plus original de saint Anselme, a été rejetée par la plupart des scolastiques, saint Thomas à leur tête, qui, toujours fidèle à son maître Aristote, montre une prédilection décidée pour les démonstrations appuyées sur l’expérience. En revanche, à partir de Descartes, la preuve de saint Anselme parait avec le plus vif éclat sur la scène philosophique, se mêle à la lutte des grandes écoles, et devient inséparable de l’histoire de l’esprit humain.

Descartes, qui croit la découvrir pour la première fois quand il ne fait que la renouveler par une forme originale, la défend intrépidement contre Hobbes et Gassendi. À leur tour Malebranche, Fénelon, Lami, toute l’école cartésienne, en y comprenant Spinoza, tiennent ferme sur les pas du maître. Bossuet lui-même, cartésien fidèle sans doute, mais cartésien discret, formé à Navarre par des thomistes zélés et d’habiles péripatéticiens, Bossuet prête à la preuve a priori le secours inattendu de sa raison sévère et la magnificence du langage divin des Élévations. Les newtoniens, malgré leurs griefs contre Descartes, ne rejettent pas son argument, et Leibnitz enfin, qui se porte volontiers l’adversaire de la philosophie cartésienne, jette d’abord sur la preuve a priori un regard sévère, puis la reprend en sous-œuvre, la remanie plusieurs fois, et se flatte de l’avoir portée au dernier point de perfection.

Au XVIIIe siècle, tout change : à l’approbation universelle succède l’universel dédain. Il suffit d’un vers de Voltaire pour livrer la preuve cartésienne à la raillerie de l’Europe, en attendant qu’elle trouve un plus sérieux adversaire dans Emmanuel Kant, qui réunit contre elle tout l’effort de sa dialectique.

Cette histoire de la preuve de saint Anselme a été faite plusieurs fois ; M. de Rémusat y ajoute un chapitre curieux : c’est le tableau des récentes controverses dont elle a été l’objet en Allemagne, réhabilitée avec éclat par M. Schelling, puis reprise tantôt à un titre et tantôt à un autre par M. Hegel. Quand j’entends des esprits ingénieux traiter si légèrement une pensée qui a occupé tant d’hommes de génie, qui a paru solide et profonde, non-seulement à des métaphysiciens