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le modèle des embarcations chinoises. Les jonques se réunissaient en convois, et, moyennant une assez faible contribution, elles obtenaient l’escorte d’une ou deux lorchas qui se chargeaient de faire bonne garde autour du troupeau et d’attaquer les pirates, s’ils se présentaient. L’action de cette maréchaussée portugaise entraînait bien quelques abus, souvent même de regrettables désordres ; mais elle déplaisait moins aux mandarins que l’intervention des navires de guerre anglais. Ce ne fut que sur les côtes du Fo-kien, repaire inextricable de la piraterie, que ces derniers parvinrent à faire accepter leur concours. À l’aide des intelligences qu’ils s’étaient ménagées, ils saisirent ou coulèrent un grand nombre de bateaux suspects, jusqu’au jour où le gouvernement de Hong-kong, imparfaitement édifié sur la validité de ces captures, jugea le moment venu d’enchaîner le zéle de ses officiers et de mettre un terme à des poursuites trop exemptes, suivant lui, des scrupules nécessaires. Il déclara donc, à la grande satisfaction des autorités chinoises, que, tant que les navires anglais seraient respectés par les pirates, les croiseurs de la reine n’avaient point à s’inquiéter de ce qui se passait dans les eaux du Céleste Empire.

À la faveur de ce pacte tacite, la piraterie reprit haleine. Ses flottes dispersées se rassemblèrent de nouveau, et une division assez considérable se porta, sous les ordres d’un certain Shap-ng-tsai, dans le golfe de Haï-nan et sur les côtes occidentales de la province de Canton. Le vice-roi Séou fut bientôt informé des déprédations de ces misérables. Il apprit que Shap-ng-tsai commandait une centaine de jonques, qu’il exerçait une autorité absolue sur ses compagnons, et se montrait actif, adroit, impitoyable, tel, en un mot, que doit être un chef de pirates pour réussir. C’était ce qu’attendait Séou. Il lui fallait un pareil homme pour avoir raison de toutes les bandes éparses qui désolaient les côtes. Des négociations s’entamèrent immédiatement. Shap-ng-tsai dut recevoir un rang dans l’armée, et passer avec sa flotte au service du gouvernement. Malheureusement, pendant ces pourparlers, une jonque, partie de Singapore avec un équipage de lascars et commandée par un capitaine anglais, tomba entre les mains des pirates, qui l’avaient prise pour une embarcation chinoise. Le capitaine relâché se rendit à Hong-kong, et son rapport tendit, à faire penser que le brick le Sylph, de Calcutta, dont on n’avait pas de nouvelles depuis plusieurs mois, pouvait bien avoir été capturé, lui aussi, par la flotte de Shap-ng-tsai. Le steamer de 320 chevaux la Medea fut expédié sur-le-champ dans le golfe de Haï-nan. L’officier qui commandait ce navire à vapeur rencontra les pirates dans la baie de Tien-pak, leur brûla cinq jonques ; mais, arrêté par le trop grand tirant d’eau de son bâtiment, il ne put attaquer