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faire aller le monde autrement qu’il va. — Depuis quinze ans, il a dit, des calculs des comédiens, ce vers de Corneille :

Le héros voit la fourbe et s’en moque dans l’âme,


et de leurs procédés impolis et désobligeans, ce vers de Piron dans Callisthène :

À force de mépris je me trouve paisible.

« M. Collé fait mille et mille complimens à M. de Beaumarchais. »


Le fondateur du drame bourgeois, l’auteur du Père de Famille, Diderot, serait également une précieuse recrue pour cette bataille. Beaumarchais invoque son concours ; mais, comme Collé, Diderot est vieux et ne demande qu’à vivre en paix.


« Vous voilà donc, monsieur, écrit Diderot, à la tête d’une insurgence[1] des poètes dramatiques contre les comédiens. Vous savez quel est votre objet et quelle sera votre marche ; vous avez un comité, des syndics, des assemblées et des délibérations. Je n’ai participé à aucune de ces choses, et il me serait impossible de participer à celles qui suivront. Je passe ma vie à la campagne, presque aussi étranger aux affaires de la ville qu’oublié de ses habitans. Permettez que je m’en tienne à faire des vœux pour votre succès. Tandis que vous combattrez, je tiendrai mes bras élevés vers le ciel sur la montagne de Meudon. Puissent les littérateurs qui se livreront au théâtre vous devoir leur indépendance ! mais, à vous parler vrai, je crains bien qu’il ne soit plus difficile de venir à bout d’une troupe de comédiens que d’un parlement. Le ridicule n’aura pas ici la même force. N’importe, votre tentative n’en sera ni moins juste ni moins honnête. Je vous salue et vous embrasse. Vous connaissez depuis longtemps les sentimens d’estime avec lesquels je suis, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Diderot.
« À Sèves (Sèvres), ce 5 août 1777. »


À côté des auteurs dramatiques insoucians, et qui se contentent de faire des vœux pour le succès de l’entreprise, se trouvent les auteurs dramatiques à grands sentimens, ceux dont les pièces n’ont jamais produit qu’une très petite recette, qui sont bien casés d’ailleurs, et qui craignent qu’on ne compromette l’honneur des lettres en paraissant combattre pour des questions d’argent. À la tête de cette catégorie se présente Bret, écrivain estimable, mais dont les pièces produisaient peu, qui est censeur, rédacteur de la Gazette de France, qui consent cependant à faire partie de la société, mais avec des réserves. D’autres auteurs sont entravés dans leur bon vouloir pour la nouvelle association par des causes bien différentes, et qui semblent annoncer un assez grand besoin de ce vil métal dont Bret

  1. Allusion à ce qu’on appelait alors l’insurgence des Américains, dont Beaumarchais se mêlait avec la même vivacité et au même moment que de l’insurgence des auteurs.