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« Paris, jeudi 8 janvier 1778.

« Je voudrais beaucoup, monsieur, que nos amis assemblés crussent devoir autant d’égards à vos observations sur le commissariat qu’ils seront certainement affligés de votre retraite ; mais, indépendamment d’une double décision donnée à cet égard et du respect que chacun doit à ses engagemens, je crois votre vœu de mutabilité fondé sur des motifs si étranges, qu’au besoin d’argumens pour soutenir le plan actuel, je choisirais précisément ceux que vous employez pour l’ébranler.

« En effet, monsieur, je doute que le corps entier des gens de lettres soit d’avis avec vous qu’il doit changer ses commissaires, afin que tous, jouissant successivement du prétendu crédit que ce choix leur donne, chaque auteur, en approchant les gens en place, ait à son tour l’occasion d’appeler la faveur et les moyens de s’avancer personnellement ; ce qui bien compris, sous-entend qu’en cas de débats ces commissaires, plus occupés de leur sort que du nôtre, ne manqueraient pas de glisser politiquement sur les intérêts sacrés qui leur seront confiés.

« Pour moi, monsieur, qui ne puis penser sans rougir qu’on aperçoive, à côté de l’honneur de défendre et de représenter le corps littéraire, quelque avantage d’un autre genre, je déclare bien positivement que, pour échapper à cet indigne soupçon, notre ouvrage actuel une fois consommé, je donnerai sur-le-champ ma démission ; mais je déclare aussi que je n’en opinerai pas moins fortement alors pour qu’on nomme à ma place de commissaire perpétuel un homme que la hauteur reconnue de ses principes rende supérieur à ce vague espoir de fortune et d’avancement qui me paraît échauffer trop d’esprits.

« Vous voyez, monsieur, que nous sommes bien loin. Vous cherchez la faveur où je ne vois qu’abnégation et sacrifices. Vous voulez faire passer tout le monde à la filière de la souplesse, lorsque nous demandons quelques hommes assez fermes pour soutenir constamment le poids de la contradiction ; car tel est l’institut du commissariat, et la tâche de nos commissaires étant de maintenir avec fermeté les droits des auteurs sans cesse attaqués par les comédiens, mon sentiment est que ceux qui rempliront bien ce pénible emploi, loin de prétendre à la faveur pour eux-mêmes, n’auront peut-être que trop souvent le chagrin de lutter infructueusement pour nous contre celle des comédiens.

« Je ne serais pas même éloigné de conseiller au corps littéraire de regarder les degrés de faveur personnelle qu’obtiendraient ses commissaires comme un thermomètre assez certain du froid ou du chaud de leur zèle pour ses intérêts, et c’est peut-être alors qu’il faudrait parler d’en changer.

« J’espère, monsieur, que vous ne vous offenserez pas si j’excipe avec franchise de la naïveté de votre avis pour vous exposer librement le mien. Animés du même désir de trouver le mieux, l’un de nous deux se trompe, et voilà tout ; la société jugera.

« Mon opinion à moi, monsieur, est qu’un ouvrage entrepris pour le bien général du corps ne doit pas souffrir de l’absence ou de l’humeur momentanée de quelques-uns de ses membres, quand tous ont été dûment invités, et que nous devons continuer, avec moins de secours, nos travaux, comme si tous ceux qui doivent en recueillir le fruit montraient encore le même désir d’y