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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/589

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nement la création d’un second Théâtre-Français, soit pour demander non moins vainement que les directeurs de province soient tenus de payer un droit aux auteurs dont ils exploitent les ouvrages.

Enfin la révolution vint mettre un terme aux privilèges abusifs des acteurs du Théâtre-Français et aux usurpations des directeurs des théâtres de province. À la suite d’une pétition rédigée par La Harpe, Beaumarchais et Sedaine, représentant la société des auteurs dramatiques, et sous l’influence de divers mémoires publiés par Beaumarchais, l’assemblée nationale reconnut le droit de propriété des auteurs, et supprima tous les privilèges de la Comédie-Française en décrétant, le 13 janvier 1791, que les ouvrages des auteurs vivans ne pourraient être représentés sur aucun théâtre public, dans toute l’étendue de la France, sans le consentement formel des auteurs. Ceux-ci se trouvaient dès lors établis, à l’égard du Théâtre-Français et de tous les autres théâtres, sur un pied d’indépendance complète, et en mesure de défendre leurs intérêts et leurs droits. Protéger ces intérêts fut une des grandes occupations de la vieillesse de Beaumarchais. On le voit travaillant sans cesse à régler les rapports des auteurs avec les divers théâtres de Paris, et s’épuisant en efforts pour faire comprendre aux directeurs des théâtres de province qu’ils n’ont pas le droit d’exploiter sans rétribution les ouvrages des auteurs vivans. On ne se doute pas de la difficulté avec laquelle cette idée, qui semble aujourd’hui si simple, s’introduisit dans l’esprit des directeurs des théâtres de province, habitués de toute éternité à ne payer nul droit d’auteur. C’était une tyrannie affreuse contre laquelle protestaient non-seulement les directeurs, mais les municipalités elles-mêmes ! Dans une pétition à l’assemblée nationale, Beaumarchais inséra une lettre du directeur d’un théâtre de province, qui lui écrivait tout net : « Nous jouons vos pièces, parce qu’elles nous fournissent de bonnes recettes, et nous les jouerons malgré vous, malgré tous les décrets du monde, et je ne conseille à personne de venir nous en empêcher, il y passerait mal son temps. » Mais Beaumarchais n’était pas homme à se décourager dans la défense d’une cause juste. Jusqu’à la fin de sa vie il se constitua, auprès des ministres de la monarchie ou de la république, le patron des auteurs dramatiques, et une de ses dernières lettres est la suivante, adressée au ministre de l’intérieur sous le directoire, à l’appui d’une pétition de la société :


« Citoyen ministre,

« Vous savez que Voltaire disait souvent : « La littérature est le premier des beaux-arts, mais elle est le dernier des métiers. » Ce n’était pas le plus méprisable qu’il entendait, mais le plus misérable, et surtout la littérature dramatique, en ce qu’elle est le seul métier qui ne puisse nourrir son maître, par l’insuffisance des lois ou le dédain des magistrats à protéger cette noble propriété, quoiqu’on sache bien qu’aucune autre ne mérite autant qu’elle ce