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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 avril 1853.

Quelle est aujourd’hui la direction morale et politique du monde ? Vers quel but marche-t-il ? A quelle destination définitive est-il promis ? Quelles sont ses impulsions, ses croyances dominantes, ses règles ? Il serait peut-être lui-même un peu embarrassé de répondre. Sa règle ; c’est justement de n’en point avoir. Il a des pressentimens, des instincts, plutôt qu’une conscience claire et certaine de ce qu’il veut, on du moins cette conscience change assez périodiquement, un jour il va dans un sens, un autre jour il est emporté dans un autre sens. Il passe d’une sorte d’ébriété fiévreuse à l’assoupissement ; il se repose avec délices au lendemain des plus chimériques et des plus inutiles poursuites ; il flotte entre l’autorité et la liberté, impuissant à vivre sans elles, impuissant à les concilier, et se consolant de ne les pouvoir faire vivre ensemble en les adorant l’une après l’autre, ce qui n’est pas toujours le meilleur moyen pour les adorer longtemps. Il se trouve même parfois que ses adorations sont aussi périlleuses que ses haines. Pour vivre, selon la parole du poète, il épuise les sources de la vie. Mystérieuse élaboration d’une distillée que nous ne connaissons pas et vers laquelle nous marchons souvent en aveugles ! En attendant cependant que cette vacillante lumière morale se fixe et que le monde s’arrête à une croyance, à une volonté assurée, à un but, il y a un autre mouvement qui ne cesse pas, qui nous presse et nous enveloppe : c’est ce gigantesque mouvement matériel qui s’accomplit par le déplacement des populations, par la multiplication du commerce, par les échanges de l’industrie. Les voyages dans les espaces de l’abstraction, réalisés au coin du feu, la plume à la main, et qui conduisent quelquefois Dieu sait où, pâlissent, on en conviendra, devant cet instinct voyageur d’une autre espèce qui fait du monde matériel le théâtre d’une exploration universelle, la grande route de l’ambition, de l’activité humaine. On rêve l’unité abstraite, et elle se poursuit par le mélange des races, des mœurs, des goûts, des intérêts.