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et sa voix grave et persuasive exhorta l’accusée à faire un dernier retour sur elle-même. Le prêtre avait à peine terminé son pieux avertissement, que Sophie-Dorothée, calme et recueillie, marchait à l’autel. Le sacrifice consommé, la princesse revint à sa place, et, se tournant vers M. de Platen, qui se tenait debout à sa gauche, le somma d’exiger de la comtesse sa femme qu’elle donnât de son innocence le même imposant témoignage. Devant ce suprême défi, Elisabeth recula, et divers prétextes de santé furent invoqués par elle pour ajourner la cérémonie, qui, en somme, n’eut jamais lieu.

La solennité de l’acte accompli par Sophie-Dorothée produisit sur l’esprit d’Ernest-Auguste une impression profonde. S’il n’abjura point tous ses soupçons, l’électeur trouva du moins la raison suffisante pour qu’on pût aviser à des moyens de réconciliation. Il proposa donc à sa bru d’oublier le passé et lui fit entrevoir à quelles conditions elle parviendrait à rentrer en grâce auprès de son époux. À ces ouvertures. Sophie-Dorothée répondit par le refus formel de jamais consentir à vivre avec un prince qui ne lui inspirait que de l’horreur, et demanda hautement le divorce. Un tribunal composé de neuf membres choisis entre les grands dignitaires des deux cours se rassembla pour prononcer sur la question. Comme on voulait surtout éviter de nouveaux scandales, et que le nom de Kœnigsmark ne devait pas être prononcé dans l’affaire, il fut d’abord assez difficile de trouver un motif capable de justifier un acte aussi grave. Enfin, après maintes hésitations, on s’arrêta d’un commun accord au projet de fuite à Wolfenbüttel, lequel constituait juridiquement un cas de désertion préméditée du toit conjugal. Le prince électoral, comme plaignant et partie lésée, eut seul le droit de se remarier. La sentence fut rendue le 28 décembre 1694 et communiquée sur-le-champ aux cours étrangères avec une note de l’électeur contenant les motifs du divorce. Pendant le procès, Sophie-Dorothée eut à se séparer de ses enfans (un fils et une fille âgés, celui-ci de dix ans, l’autre de huit) : tristes et suprêmes adieux, car la pauvre mère ne les devait plus revoir ! L’arrêt une fois prononcé, les deux cours statuèrent que la princesse prendrait désormais le titre de duchesse d’Ahlden, du nom d’une forteresse où il lui était enjoint de se retirer. Comme Marie Stuart, Sophie-Dorothée était prisonnière. Les rigueurs politiques affectaient alors d’appeler à leur aide les formes les plus courtoises et les plus cérémonieuses ; on cachait les chaînes sous des fleurs. Un revenu considérable fut alloué à la duchesse pour tenir son rang. Elle pouvait recevoir en visite qui bon lui semblerait et se promener librement en voiture. Il est vrai que le nom de chaque visiteur était scrupuleusement couché sur un registre qu’on avait soin d’envoyer tous les jours à la résidence de l’électeur à Hanovre. Quant