coup ni faire un prisonnier. — Quelle guerre est-ce là ? demanderont les militaires. — La guerre civile en pays despotique, répondra M. Grote. L’empire des Perses était divisé en un certain nombre de provinces gouvernées par des satrapes, chefs féodaux presque indépendans, mais trop lâches ou trop odieux à leurs vassaux pour se mettre en rébellion ouverte contre un souverain nominal qui conservait encore quelque prestige pour ses peuples. Au moment où la guerre éclata entre les deux frères, chacun de ces seigneurs féodaux n’eut qu’une seule pensée, une seule politique : ce fut de se maintenir dans sa satrapie, quel que fût l’événement. Ils se gardèrent bien de prendre parti pour l’un ou l’autre des deux frères. Tant que Cyrus marche en avant, ils fuient devant lui, sûrs, s’il réussit, de se faire un mérite de ne pas lui avoir résisté, attentifs en même temps à ne pas se brouiller avec Artaxerce tant qu’il lui restera quelques ressources. Ce système de duplicité dure toute la campagne, et, depuis le satrape jusqu’au dernier soldat, il semble que tout le monde le pratique. Les seules gens qui se battent, ce sont les compagnons de table des deux frères (ainsi les rois de Perse nommaient leurs gardes du corps), parce qu’ils savent que la table de l’un ne peut exister en même temps que celle de l’autre. Je ne répondrais pas même que Cléarque n’eût appris assez des manières persanes dans sa marche, pour ne pas imiter la politique prudente des satrapes, et de quelque vitesse que les Égyptiens, en ligne devant lui à Cunaxa, firent preuve pour s’enfuir, je serais tenté de croire que les Grecs ne mirent pas une très grande ardeur à les suivre. Dans ce déplorable gouvernement de la Perse, il était à peu près indifférent à tout le monde que l’idole reconnue s’appelât Cyrus ou bien Artaxerce, et si plus tard Alexandre eut des batailles à livrer, c’est qu’il voulait non-seulement le trône de Darius pour lui-même, mais encore les satrapies des grands vassaux pour ses Macédoniens.
Les Grecs apprirent le soir que la bataille qu’ils croyaient gagnée était perdue : accident assez commun à la guerre, dit-on, où chacun s’imagine que le sort d’une journée se décide dans le poste qu’il occupe. Cependant ils ne pensèrent pour lors qu’à leur souper, qu’ils firent cuire avec les flèches des Perses et les boucliers de bois des Égyptiens ; puis ils réfléchirent au parti qu’il leur fallait prendre. D’abord ils offrirent à un frère de Cyrus, nommé Ariée, de le faire roi ; mais déjà, avant de souper, Ariée avait fait sa paix particulière avec Artaxerce. Il fallut bien parlementer avec les gens du grand roi ; les dix mille étaient tout disposés à se mettre à son service, mais on n’accepta pas leurs offres, et il fut réglé qu’ils s’en retourneraient, non plus en conquérans, comme ils étaient venus, mais en payant de leur argent les rations qu’on leur délivrerait. Cet