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lâcher prise. Le guépard refuse d’abord d’abandonner sa proie, il faut que le gardien enfonce un couteau dans le cou de la gazelle et humecte de sang chaud la gueule de l’animal carnassier ; celui-ci, avide de lécher le sang qui se colle à ses lèvres, desserre les dents, et le gibier qu’il a pris passe aux mains du chasseur. Le guépard a encore cela de commun avec le faucon, qu’il ne poursuit point sa proie, s’il l’a manquée du premier coup ; honteux de sa maladresse, il s’irrite, s’éloigne de son maître et le boude jusqu’à ce que celui-ci lui ait offert l’occasion de prendre sa revanche. Cette chasse au guépard se pratique dans les provinces du midi et de l’ouest de l’Inde, particulièrement dans le Radjasthan. Il ne parait pas que le chien ait joué chez les Hindous ce rôle d’ami et de compagnon de l’homme que lui ont attribué les peuples de l’Occident ; cela tenait sans doute aux préjugés des anciens ariens contre les animaux regardés comme impurs. Homère a fait du chien un être presque doué de raison ; Xénophon, dans ses écrits sur la chasse, a parlé des meutes et de l’éducation des limiers en si beaux termes, qu’il semble avoir voulu plaire à Diane chasseresse. Les poèmes de l’Inde nous font deviner que le hideux chacal, — chien sauvage, — a contribué à jeter de la défaveur sur le chien domestique.

Au versant de l’Himalaya, par-delà le Kachemire, on rencontre le daim qui donne le musc, et aussi des ours de diverses espèces. Le moins connu en Europe est noir, grand comme celui de l’Amérique du Nord, et marqué d’une tache blanche au-dessous du col ; c’est un animal redoutable et qu’on n’attaque pas sans précaution. Et cependant de quoi se nourrit cette terrible bête dont les grognemens ébranlent les échos des montagnes ? De sauterelles, et probablement d’autre chose aussi. Toujours est-il qu’on rencontre dans la région des neiges la grosse sauterelle noire des plaines de la Perse et de l’Afrique. Est-ce avec le secours de ses propres forces qu’elle atteint les sommets des monts ? y est-elle portée par les vents ? C’est une question difficile à résoudre. À cette hauteur, ses ailes lui refusent service, elle reste inanimée sur la neige jusqu’à ce que le soleil lui rende la vie et le mouvement ; puis, le soir, elle perd de nouveau ses forces, et c’est dans ces instans de léthargie qu’elle devient la proie de l’ours. N’admirez-vous pas la prévoyante nature qui enlève du fond des plaines de si frêles insectes pour les jeter sous la dent des gros quadrupèdes réfugiés dans les neiges, ou plutôt ne sentez-vous pas la naïve crédulité de ces peuples amis du merveilleux et si occupés d’expliquer à leur manière les phénomènes de la nature ? Les gens de ce pays n’ont contre l’ours aucune animosité ; ils ne vont point volontiers le troubler dans sa solitude. Lorsque la chasse est ordonnée, ils se mettent en campagne, comme des recrues forcées de partir pour la guerre. Les traqueurs, au nombre d’une quaran-