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est, en un sens, plus instructive que son histoire. L’histoire d’un peuple, en effet, ne lui appartient pas tout entière : elle renferme une part fortuite ou fatale qui ne dépend pas de la nation, qui parfois même la contrarie dans son déploiement naturel ; mais la légende religieuse est bien l’œuvre propre et exclusive du génie de chaque race. L’Inde, par exemple, ne nous a pas laissé une ligne d’histoire proprement dite : les érudits parfois le regrettent, et paieraient au poids de l’or quelque chronique, quelque série de rois ; mais, en vérité, nous avons mieux que tout cela : nous avons les poèmes, la mythologie, les livres sacrés du peuple indou ; nous avons son âme. Dans l’histoire, nous eussions trouvé quelques faits sèchement racontés, dont la critique eut à grand’peine réussi à saisir le vrai caractère : la fable nous donne, comme dans l’empreinte d’un sceau, l’image fidèle de la manière de sentir et de penser propre à cette nation, son portrait moral tracé par elle-même. Ce que le XVIIIe siècle regardait comme un amas de superstitions et de puérilités est ainsi devenu, aux yeux d’une philosophie de l’histoire plus complète, le centre du développement humain. Des études qui autrefois semblaient l’apanage des esprits frivoles se sont élevées au niveau des plus hautes spéculations, et un livre consacré à l’interprétation de ces fables que Bayle déclarait bonnes tout au plus pour amuser les enfans a pris place parmi les œuvres les plus sérieuses de ce siècle.

Pour apprécier toute l’importance de ce livre, — nous voulons parler de la vaste encyclopédie mythologique qu’un des plus dignes représentans de l’érudition française a groupée autour d’une traduction récemment terminée de la Symbolique du docteur F. Creuzer, — il faut se reporter à l’époque où fut entrepris ce grand travail, destiné à naturaliser parmi nous toute une série d’études si florissantes chez nos voisins, et chez nous si délaissées. Lorsque le premier volume des Religions de l’antiquité parut en 1825, il se rattachait à ce mouvement de curiosité qui agitait alors les esprits, et les portait à chercher dans l’histoire mieux comprise la solution de tous les problèmes qui passionnaient la partie éclairée de l’opinion. Il est rare que de tels travaux s’achèvent au milieu du mouvement qui les a vus naître ; mais si les derniers volumes des Religions de l’antiquité n’ont plus rencontré le public plein d’ardeur et d’espérances qui avait accueilli les premiers, ils ont prouvé du moins que rien n’est changé dans le zèle du savant qui, pendant un quart de siècle, a été l’interprète de l’une des branches les plus importantes de l’érudition allemande, et auquel personne ne contestera le titre de rénovateur des études mythologiques en France.

Le traducteur de la Symbolique trouva ces études abaissées parmi nous fort au-dessous de la médiocrité. C’était le temps où M. Petit-Radel dissertait gravement sur les aventures de la vache Io, et dressait dans un mémoire le tableau synoptique des amans d’Hélène, avec leur âge en rapport avec celui de cette princesse. L’Allemagne au contraire, initiée à la connaissance de l’antiquité par la grande génération des Wolf et des Heyne, si rapprochée d’ailleurs par son génie des intuitions religieuses des premiers âges, était riche déjà d’excellens écrits sur les mythologies anciennes et sur la manière de les interpréter. Ce qui importait avant tout, c’était de réparer un arriéré de plus d’un demi-siècle, et de rendre accessibles les trésors de saine érudition