néo-platonicienne, M. Creuzer a supposé la haute antiquité beaucoup plus mystique qu’elle n’était en effet ; esprit positif, analytique, convaincu que l’horreur du mysticisme est le commencement de la sagesse, M. Lobeck semble prendre plaisir à la trouver insignifiante. Partout où M. Creuzer a voulu chercher une pensée honnête et morale, des rites saints et respectables, M. Lobeck ne voit que des bouffonneries obscènes et des enfantillages. L’ancienne religion pélasgique, ou M. Creuzer a cru découvrir une émanation du symbolisme oriental, n’est, aux yeux de M. Lobeck, qu’un fétichisme absurde et grossier ; ces mystères, restes, selon M. Creuzer, d’un culte pur et primitif, ne sont pour M. Lobeck que des jongleries analogues à celles des loges maçonniques. Plein d’une sainte indignation contre ce que Voss appelait les ordures allégoriques, les mensonges de Platon, il repousse hautement toute interprétation portant un cachet religieux. M. Creuzer, entraîné par sa vive imagination, dépasse sans cesse les bornes de ce qu’il est permis de savoir. M. Lobeck n’est jamais plus heureux que quand il peut nier et montrer à ses devanciers qu’ils ont beaucoup trop affirmé. Aucun mythologue ne l’a égalé pour la critique des textes originaux ; mais s’il rapproche ces textes, ce n’est pas pour en faire sortir la lumière, c’est pour les briser les uns contre les autres, et montrer qu’il ne reste que ténèbres. La conclusion de son livre est qu’on ne sait rien sur les religions antiques, et qu’il n’y a pas même lieu à conjecturer. Ses attaques d’ailleurs, il faut le reconnaître, ne s’arrêtent pas aux religions de l’antiquité. Ce n’est pas seulement envers Eleusis et Samothrace que M. Lobeck se montre irrévérencieux et railleur. Toute forme religieuse supposant hiérarchie et mystères, tout ce qui de près ou de loin ressemble au catholicisme lui est antipathique. Impitoyable pour les superstitions populaires, il l’est bien plus encore pour les interprètes qui veulent y trouver un sens élevé. La religion et la philosophie n’ont, selon lui, rien à faire ensemble ; les néoplatoniciens sont d’impudens faussaires, qui n’ont réussi qu’à détruire la physionomie de la religion ancienne, sans la rendre plus acceptable. À quoi bon chercher à n’être qu’à moitié absurde ? A quoi bon suer sang et eau pour trouver un sens à ce qui n’en a pas ?
On le voit, si M. Lobeck possède éminemment les facultés du critique, il manque d’un sens pour l’interprétation mythologique, le sens des choses religieuses. On dirait vraiment, en le lisant, que l’humanité a inventé les religions comme elle a inventé les charades et les logogriphes, pour se jouer d’elle-même. M. Lobeck croit triompher en démontrant que la religion ancienne n’était qu’un tissu d’anachronismes et de contradictions, qu’on ne saurait trouver deux mythographes qui soient d’accord entre eux sur les dates, les lieux, les généalogies ; mais, en vérité, qu’a-t-il prouvé par là ? que la mythologie ne doit pas être traitée comme une réalité ? que la contradiction est de son essence ? Sans doute, et c’est précisément pour cela que la critique a mauvaise grâce quand elle demande de l’histoire à ce qui n’est point historique et de la raison à ce qui ne se propose pas d’être raisonnable. Certes il est bon qu’il y ait des esprits de la trempe de celui de M. Lobeck ; mais ce qu’il importe de maintenir, c’est que cette méthode ne saurait satisfaire ni le philosophe ni le critique. On ne prouve rien en attaquant la religion avec l’esprit positif, car la religion est d’un autre ordre. Le sentiment