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Par quel contraste bizarre un pays où les arts de l’esprit ont été portés à cette perfection serait-il resté médiocre dans les autres arts ? Le sentiment du beau manquait-il donc à cette société si polie, a cette cour magnifique, à ces grands seigneurs et à ces grandes dames passionnées pour le luxe et pour l’élégance, à ce public d’élite, épris de tous les genres de gloire, et dont l’enthousiasme défendit le Cid contre Richelieu ? Non, la France du XVIIe siècle est une, et elle a produit des artistes qu’elle peut mettre à côté de ses poètes, de ses philosophes, de ses orateurs.

Mais pour admirer nos artistes, il faut les comprendre.

Nous ne croyons pas que l’imagination ait été moins libéralement départie à la France qu’à aucune nation de l’Europe. Elle a même eu son règne parmi nous. C’est la fantaisie qui domine au XVIe siècle, et inspire la littérature et les arts de la renaissance. Mais une grande révolution est intervenue au commencement du XVIIe siècle : la France à ce moment semble passer de la jeunesse à la virilité. Au lieu d’abandonner l’imagination à elle-même, nous nous appliquons dès lors à la contenir sans la détruire, à la modérer, ainsi que l’ont fait les Grecs, à l’aide du goût, comme dans le progrès de la vie et de la société on apprend à réprimer ou à dissimuler ce qu’il y a de trop individuel dans les caractères. C’en est fait de la littérature de l’âge précédent : une nouvelle poésie, une prose nouvelle commencent à paraître, qui pendant un siècle entier portent d’assez beaux fruits. L’art suit le mouvement général ; d’élégant et de gracieux qu’il était, il devient sérieux à son tour : il ne vise plus à l’originalité et aux effets extraordinaires, il n’étincelle ni n’éblouit ; il parle surtout à l’esprit et à l’âme ; de là ses qualités et aussi ses défauts ; en général, il manque un peu d’éclat et de coloris, mais il est au plus haut degré expressif.

Depuis quelque temps nous avons changé tout cela. Nous avons découvert un peu tard que nous n’avions pas assez d’imagination ; nous sommes en train de nous en donner aux dépens de la raison, hélas ! aussi aux dépens de l’âme oubliée, répudiée, proscrite. En ce moment, la couleur et la forme sont à l’ordre du jour, en poésie, en peinture, en toute chose. On commence à raffoler de la peinture espagnole ; l’école flamande et l’école vénitienne prennent de plus en plus le pas sur la grande école de Florence et de Rome ; Rossini balance Mozart, et Gluck va bientôt nous sembler insipide.

Jeunes artistes qui, dégoûtés à bon droit de la manière sèche et inanimée de David, entreprenez de renouveler la palette française, qui voudriez ravir au soleil sa chaleur et son éclat, songez que de tous les êtres de l’univers le plus grand est encore l’homme, et que ce que l’homme a de plus grand, c’est son intelligence, et surtout son cœur ;