Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/877

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Combattant pour l’église, a, dans l’église même,
Souffert plus d’un outrage et plus d’un anathème, etc.

Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté ;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N’aurait jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même ici de son ouaille sainte
À ces loups dévorans n’avait caché les os

[1].

Voilà, je pense, d’assez grands poètes, et nous en avons d’autres encore : je veux parler de ces esprits charmans ou sublimes qui ont élevé la prose jusqu’à la poésie. La Grèce seule, en ses plus beaux jours, offre peut-être une telle variété de prosateurs admirables. Qui peut les compter ? D’abord Froissard, Rabelais et Montaigne, plus tard Descartes, Pascal et Malebranche. La Rochefoucauld et La Bruyère, Retz et Saint-Simon, Bourdaloue, Fléchier, Fénelon, Bossuet ; ajoutez tant de femmes éminentes, à leur tête Mme de Sévigné, et cela en attendant Montesquieu, Voltaire, Ruisseau et Buffon[2].

  1. Ces vers n’ont paru qu’après la mort de Boileau, et ils ne sont pas encore connus. Jean-Baptiste Rousseau, dans une lettre à Brossette, dit avec raison que ce sont « les plus beaux vers que M. Despréaux ait jamais faits. »
  2. IVe série de nos ouvrages. LITTERATURE, t. Ier avant-propos, p. 3 : « C’est dans la prose, qu’est peut-être notre gloire littéraire la plus certaine… Quelle nation moderne compte des prosateurs qui approchent de ceux de notre nation ? La patrie de Shakspeare et de Milton ne possède aucun prosateur du premier ordre. Celle du Dante, de Pétrarque, de l’Arioste, du Tasse, est fière en vain de Machiavel, dont la diction saine et mâle est, comme la pensée qu’elle exprime, destituée de grandeur. L’Espagne a produit, il est vrai, un admirable écrivain, mais il est unique, Cervantes… La France peut montrer aisément une liste de plus de vingt prosateurs de génie, Froissard, Rabelais, Montaigne, Descartes, Pascal, La Rochefoucauld, Molière, Retz, La Bruyère, Malebranche, Bossuet, Fénelon, Fléchier, Bourdaloue, Massillon, Mme de Sévigné, Saint-Simon, Montesquieu, Voltaire, Buffon, Jean-Jacques Rousseau, sans parler de tant d’autres qui seraient au premier rang partout ailleurs, Amyot, Calvin, Pasquier, Charron, Balzac, Vaugelas, Pellisson, Nicole, Fleury, Saint-Évremont, Mme de Lafayette, Mme de Maintenon, Fontenelle, Vauvenargues, Hamilton, Lesage, Prévost, Diderot, Beaumarchais, etc. On peut le dire avec la plus exacte vérité, la prose française est sans rivale dans l’Europe moderne, et dans l’antiquité même, supérieure à la prose latine, excepté peut-être dans quelques traités et dans les lettres de Cicéron, elle n’a d’égale que la prose grecque en ses plus beaux jours, d’Hérodote à Démosthènes. Je ne préfère pas Démosthènes à Pascal, et j’aurais de la peine à mettre Platon lui-même au-dessus de Bossuet. Platon et Bossuet, à mes yeux, voilà les deux plus grands maîtres du langage humain, avec des différences manifestes comme aussi avec plus d’un trait de ressemblance : tous deux parlant d’ordinaire comme le peuple, avec la dernière naïveté, et par momens montant sans effort à une poésie aussi magnifique que celle d’Homère, ingénieux et polis jusqu’à la plus charmante délicatesse, et par instinct majestueux et sublimes. Platon sans doute a des grâces incomparables, la sérénité suprême et comme le demi-sourire de la sagesse divine ; Bossuet a pour lui le pathétique, où il n’a de rival que le grand Corneille. Quand on possède de pareils écrivains, n’est-ce pas une religion de leur rendre l’honneur lui leur est dû, celui d’une étude régulière et approfondie ? »