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que sainte Geneviève. En vain la belle pécheresse a-t-elle voulu renoncer aux joies du monde et s’attacher à la pauvreté de Jésus-Christ. On l’a ramenée au faste et à la mollesse qu’elle avait répudiés ; on l’a mise dans un riche palais tout étincelant d’or, qui pourrait fort bien être un temple de Vénus, car certes il n’a pas la grâce sévère du Parthénon, dont il est la copie la plus vulgaire. Oh ! que nous sommes loin des Invalides, du Val-de-Grâce, de la Sorbonne, si admirablement, appropriés à leur objet, et où paraît si bien la main du siècle et du pays qui les ont élevés !

Pendant que l’architecture s’égare ainsi, il est tout simple que la peinture cherche avant tout la couleur et l’éclat, que la sculpture s’applique a redevenir païenne ; que la poésie elle-même, reculant de deux siècles, abjure le culte de la pensée pour celui de la fantaisie, qu’elle aille partout empruntant des images à l’Espagne, à l’Italie, à l’Allemagne, qu’elle coure après des qualités subalternes et étrangères qu’elle n’atteindra pas, et abandonne les grandes qualités du génie français.

J’entends ce qu’on va me dire : le sentiment chrétien qui animait Lesueur et les artistes du XVIIe siècle manque à ceux du nôtre ; il est éteint, il ne peut plus se rallumer. D’abord cela est-il bien certain ? La foi naïve est morte ; mais une foi réfléchie ne la peut-elle remplacer ? Le christianisme est inépuisable ; il a des ressources infinies, des souplesses admirables ; il y a mille manières d’y arriver et d’y revenir, parce qu’il a lui-même mille faces qui répondent aux dispositions les plus diverses, à tous les besoins, à toute la mobilité du cœur. Ce qu’il perd d’un côté, il le regagne de l’autre ; et comme c’est lui qui a produit notre civilisation, il est appelé à la suivre dans toues ses vicissitudes. Ou bien toute religion périra dans le monde, ou le christianisme durera, car il n’est pas au pouvoir de la pensée de concevoir une religion plus parfaite. Artistes du XIXe siècle, ne désespérez pas de Dieu et de vous-mêmes. Une philosophie superficielle vous a jetés loin du christianisme considéré d’une façon étroite : une autre philosophie peut vous en rapprocher en vous le faisant envisager d’un autre œil. Et puis, si le sentiment religieux est affaibli, n’y a-t-il donc pas d’autres sentimens qui peuvent faire battre le cœur de l’homme et féconder le génie ? Platon l’a dit : la beauté est toujours ancienne et toujours nouvelle. Elle est supérieure à toutes les formes, elle est de tous les pays et de tous les temps, elle est de toutes les croyances, pourvu que ces croyances soient sérieuses et profondes, et qu’on éprouve le besoin de les exprimer et de les répandre. Si donc nous ne sommes pas arrivés au terme assigné à la grandeur de la France, si nous ne commençons pas à descendre dans l’ombre de la mort, si nous vivons encore véritablement, s’il nous reste des convictions,