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c’est pour cela que je t’ai si durement traitée ! — Et il se mit à genoux devant Adeline, et lui demanda pardon.

Comme tous les gens qui subissent l’impression du moment, rassuré par les aveux de sa fille, Protat était passé de l’extrême inquiétude à la sécurité extrême, exagérant l’une comme il venait d’exagérer l’autre. Dans tous les détails que sa fille lui avait fait connaître, il ne voyait plus qu’un badinage, le caprice éphémère d’une enfant un peu sentimentale. Il ne trouvait dans ce penchant aucune matière à s’alarmer, et, craignant même d’offenser son pensionnaire par une précaution, malgré l’embarras que l’arrivée de Cécile allait apporter dans la distribution des logemens, il avait presque renoncé à l’idée de s’emparer de ce prétexte pour inviter l’artiste à prendre provisoirement gîte ailleurs. Ce fut Adeline qui le força à maintenir cette décision. — Non pas à cause de moi, dit-elle, mais à cause de Cécile. M. Lazare comprendra bien cela.

— Ma foi, dit Protat, tu te chargeras mieux que moi de le lui faire comprendre. La négociation m’embarrasse, et je ne sais pas comment j’ai pu avoir un moment l’idée de renvoyer ce jeune homme, quoiqu’il eût cependant mieux valu qu’il ne mit pas les pieds chez nous.

Adeline l’interrompit pour le prier de ne plus faire aucune allusion à ce qu’elle lui avait raconté. Elle lui avait fait cet aveu pour n’avoir plus à y songer elle-même. Elle avait réfléchi ; elle ne voulait plus songer à ce jeune homme autrement que comme à un étranger. Elle éviterait de le voir, ce qui lui serait d’autant plus facile que Lazare, était plus souvent absent qu’à la maison ; elle ne lui parlerait plus que pour lui répondre. À quoi le bonhomme répondit sagement que ce changement dans ses habitudes pourrait surprendre Lazare, qu’il en chercherait peut-être le motif, et que cela pouvait être dangereux. Il était donc préférable qu’Adeline restât avec lui ce qu’elle était habituellement. Cette détermination soudaine d’indifférence n’avait, comme on le pense, rien de sérieux. Adeline, inquiétée instinctivement, et à qui la passion ne s’était révélée jusqu’à présent que par des sensations douces qui agitaient son cœur sans le troubler, s’effrayait aux premiers symptômes douloureux. En adorant Lazare, elle lui en voulait de ce que lui faisait déjà souffrir son amour pour lui.


II. — Cécile.

Peu d’instans après cette scène, dont le dénouement plus pacifique que le début avait laissé Protat rassuré et sa fille tranquillisée au moins en apparence, une élégante voiture amenait Cécile à la