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bonnes âmes de La Rochelle remuèrent ciel et terre pour empêcher Mme fontaine d’être pendue. Le roi Henri IV se trouvant de fortune en ces parages, on lui remit des placets pour obtenir la grâce de cette femme légère. Avant de rien décider, le roi se fit montrer le mari, qui probablement sollicitait comme les autres. On lui présenta un grand gaillard haut de six pieds, d’apparence plus propre à manier une lance qu’un tranchet. « Elle n’a pas d’excuse, s’écria le roi, qui avait aussi une barbe grise. Ventre saint-gris ! empoisonner le plus bel homme de mon royaume ! qu’on la pende ! » Ainsi fut fait.

La pauvre femme incomprise à qui ce malheur arriva n’avait pas donné d’héritier au cordonnier son époux, et le père de Jacques Fontaine était le dernier enfant du premier mariage. Déjà la famille était en voie de prospérité, car ce fils, au lieu de faire des chaussures, fut ministre de l’Évangile, et s’acquit une certaine réputation d’éloquence par ses prédications. Il avait fait plusieurs voyages à Londres, et même y avait pris femme. À cette époque, les relations de l’Angleterre avec la province de Saintonge étaient assez étroites. Un commerce actif et la contrebande des grains et des eaux-de-vie favorisaient les communications et les intrigues des réformés avec leurs coreligionnaires de la Grande-Bretagne. C’est de ce pays qu’ils tiraient des secours et des munitions pendant les guerres civiles ; ce fut sur l’espoir tant de fois déçu d’une grande expédition anglaise que les Rochelois soutinrent ce long siège qui détruisit leur commerce et leur importance politique.

Jacques Fontaine naquit en 1658. Il fut élevé comme devait l’être l’arrière-petit-fils d’un martyr et le fils d’un ministre ardent et passionné pour sa croyance. Doué d’une constitution robuste et d’une force morale peu commune, il semblait destiné par la nature à la carrière des armes, mais un accident l’ayant rendu boiteux, tout enfant, on le fit étudier pour en faire un jour un pasteur. La mission des ministres protestans commençait à devenir pénible et même périlleuse. Des tracasseries continuelles préludaient à la persécution, et chaque jour la partialité des agens du gouvernement mettait à l’épreuve la constance des prédicateurs évangéliques. Jacques Fontaine était d’un caractère à se distinguer dans ces temps malheureux ; et l’éducation dure de son enfance ne fit que développer sa résolution et son énergie. On en peut juger par cette petite anecdote qu’il rapporte de ses premières années. « M. Arnauld (c’était le maître d’école qui lui apprit à lire) suivait à la lettre le précepte de Salomon qui recommande de ne pas épargner les étrivières à la jeunesse. D’ailleurs c’était toujours en particulier qu’il administrait le fouet à ses élèves, car il avait dans son école des filles aussi bien que des garçons. Nous autres garçons, parlant un jour de la sévérité de notre maître, nous cherchions à