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ordinaires dans les diverses régions de l’activité publique. Durant ces derniers mois, la menace incessante de conflits possibles avait dû finir nécessairement par avoir son action sur un certain nombre d’intérêts matériels ; elle pesait sur les spéculations financières, sur les entreprises commerciales, sur les combinaisons de l’industrie. Chaque péripétie nouvelle se traduisait en oscillations successives dans toutes les valeurs publiques. Il n’y aurait point eu un grand malheur, si cela n’eût fait qu’amortir cette ardeur factice, cette fièvre de spéculation qui joue avec tous les ressorts de la fortune nationale jusqu’à les rompre parfois. Voici cependant qu’aujourd’hui toute cette fièvre industrielle semble renaître d’elle-même et se rallumer plus vive que jamais à la faveur des présages pacifiques. Il y a sans doute les entreprises utiles, les travaux sérieux, et telles sont en première ligue les concessions nouvelles faites par le gouvernement pour compléter le réseau des chemins de fer français : chemins de Tours au Mans, de Nantes à Saint-Nazaire, de Besançon à Belfort, de Paris à Mulhouse, de Nancy à Gray, etc. Ces nouvelles concessions, qui embrassent une étendue de 888 kilomètres, sont faites à des compagnies déjà existantes, celles de Strasbourg, d’Orléans, de Dijon à Besançon, et en réalité la dépense qui en résultera, distribuée en huit années, sera suffisamment couverte par l’accroissement des recettes de ces compagnies. Ce sont là d’ailleurs des entreprises nationales qui ont pour effet d’ajouter aux moyens et aux ressources de la France, en complétant ses voies de communication ferrées. Mais en vérité n’y a-t-il donc que cela aujourd’hui dans le monde industriel et financier’ ? Comptez au contraire les projets qui se succèdent, les plans merveilleux qui se multiplient, les combinaisons de tout genre qui ont grand soin de commencer par attirer les curieux ! Faut-il des applications nouvelles du système de crédit foncier ? Faut-il des sociétés pour prendre l’entreprise des eaux en France ? Faut-il des compagnies pour créer subitement de nouveaux quartiers dans Paris ? Quoi encore ? Tout cela se trouvera sans nul doute, tout cela fera du bruit, se constituera sous une forme quelconque, sera patroné par des noms connus, prôné par des voix intéressées, poussé hardiment par des maîtres dans l’art de travailler au succès d’une affaire. Et ce qui est pis, c’est la prétention étrange d’organiser ces entreprises de manière à les rendre accessibles à ceux qui ont peu, de les démocratiser en un mot, comme on dit. — Oui, ce n’est point assez que la fièvre du jeu se soit emparée de certaines classes douteuses, qu’il s’élève dans certaines régions de ces fortunes capricieuses et subites dues au hasard d’une spéculation audacieuse. Le beau idéal, ce sera quand l’ouvrier jouera à la Bourse, quand le paysan se fera actionnaire, quand le pauvre diable qui aura fait quelques économies ira les porter à quelque caisse voisine toujours plus ouverte pour recevoir que pour rendre, quand les uns et les autres iront risquer dans des jeux scabreux qu’ils ne connaissent pas le peu de bien qu’ils auront recueilli ou lentement amassé. Et quand ils seraient heureux, quand ils gagneraient comme tant d’autres, ils perdraient en même temps quelque chose de bien plus précieux, car ils arriveraient à mépriser le travail, qui est l’instrument des lentes et honnêtes fortunes, pour se dévouer au hasard, qui en crée de subites dont personne ne s’avise d’aller rechercher les sources. Que veut dire cela ? C’est qu’il y a de notre temps un