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La paix semble donc assurée aujourd’hui, tous les signes l’attestent, malgré les inquiétudes passagères que peut faire naître parfois la lenteur du dénomment définitif et officiel. Le premier effet de cette certitude, c’est de ramener chaque pays à ses préoccupations ordinaires, à ses conditions normales. Pendant quelques mois, tous les esprits étaient tendus vers un point unique, tous les regarda se tournaient alternativement du côté de Constantinople, de Saint-Pétersbourg, ou, en dernier lieu, de Vienne : maintenant que le résultat est pressenti d’avance, c’est à peine, si on fait attention à quelques engagemens, non prévus par la diplomatie, qui semblent avoir eu lieu entre les avant-postes russes et les avant-postes turcs ; et si l’émotion n’est plus là, elle ne sera point, à coup sûr dans la politique intérieure, depuis longtemps débarrassée, comme on sait, de toute cause d’excitation superflue.

La politique intérieure, elle est justement aujourd’hui dans l’absence de toute préoccupation purement politique ; la saison et la circonstance aidant, elle est dans les fêtes, dans les voyages. C’était le 15 août dernier que revenait, pour la seconde fois depuis le régime nouveau, la fête de Napoléon, et elle était célébrée comme se célèbrent toutes les fêtes auxquelles la foule ne manque jamais, plus fidèle aux feux d’artifice qu’aux gouvernemens. Divertissemens, joutes, illuminations, c’est l’accompagnement habituel de ces sortes de solennités ; c’était cette fois dans des proportions particulières de magnificence et de splendeur. Nous ne parlons pas des distributions de faveurs officielles, des revues, des réceptions, qui offraient, dit-on, au chef de l’état l’occasion de renouveler au corps diplomatique l’assurance du maintien de la paix. Par sa destination même, par les emblèmes partout multipliés, par tout ce qui servait à le caractériser ; ce jour venait marquer une fois de plus les transformations politiques accomplies dans la vie de la France. En y songeant un peu, combien cette fête résumait de changemens, de bouleversemens, révolutions successives de 1815 à l’empire de 1853, des gouvernemens qui se sont succédé pendant trente ans au gouvernement actuel ! Nous ne parlons pas de la république ; déjà, dès ce moment, la transition était plus qu’à demi accomplie par le fait même des dangers où une anarchie imprévue plongeait la France. Voilà ce, qui est désormais prouvé et ce que rappelait le 15 août : c’est que la république en France contient nécessairement un empire. À côté de ces fêtes d’un jour, nous parlions des voyages, qui sont aussi un des traits politiques du moment ; en effet, le voyage de l’empereur et de l’impératrice à Dieppe n’a-t-il point ce caractère ? C’est une excursion où se manifeste, à coup sûr plus d’un signe curieux à observer, et le moins singulier n’est pas la délibération en vertu de laquelle le conseil municipal a offert en don à l’empereur l’Hôtel-de-ville de Dieppe. Rien n’était plus naturel certainement de la part du conseil municipal dieppois que d’exprimer son enthousiasme pour le chef de l’état ; seulement l’enthousiasme ne lui faisait-il pas oublier un peu de se demander s’il disposait en parfaite compétence ? Qu’eût donc fait l’empereur de l’hôtel-de-ville de Dieppe, et qu’eût fait le conseil municipal de Dieppe sans son hôtel-de-ville ? Il en est résulté que l’empereur a cru devoir refuser le don qui lui était offert, en se fondant sur ce que la liste civile ne pouvait pas multiplier à ce point les résidences impériales.

La certitude de la paix ramène, disions-nous, les esprits à leurs préoccupations