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raison du reste quand on s’occupe de tout ce qui touche à l’éducation publique et qu’on recherche les moyens de la rendre meilleure. Une bonne éducation est comme une bonne mine : quand elle a laissé quelque chose de sain et de viril dans une âme, les orages peuvent venir ; il peut y avoir des oublis et des abandons, mais l’empreinte primitive finit par reparaître, et l’intelligence, comme le cœur, se retrouve bientôt avec cette sûreté d’instinct due aux influences bienfaisantes du premier âge.

Cet ordre d’idées et de préoccupations, nous aurions pu le retrouver encore ces derniers jours à l’Académie, quoique sous des formes assez différentes et plus générales. Ne s’agissait-il point en effet de cette autre éducation morale plus libre donnée par des ouvrages de choix, par des exemples de vertu, et que l’Institut est chargé d’encourager par des récompenses particulières ? Tous les ans, L’Académie se réunit à cette époque pour décerner ses prix : prix d’éloquence, pria Montyon, pris aux œuvres les plus remarquables sur l’histoire ou la littérature. Par malheur, tous les étés ne semblent pas également favorables à l’éloquence académique : il y a pour elle des saisons stériles, si bien que l’éloquence académique n’a point eu cette fois ses couronnes ; mais tous les ans l’Académie peut distribuait ses prix aux ouvrages les plus utiles aux mœurs comme aux actes de vertu, et alors se pose cette autre question de savoir ce que c’est que l’ouvrage le plus utile aux mœurs et ce que c’est qu’un acte de vertu : question qui n’est point peut-être aussi facile à résoudre qu’on le pense, et que l’Académie tranche de son mieux, — en faisant prononcer ses jugemens par une de ces paroles supérieures et sûres qui marquent d’un trait ineffaçable tout ce qu’elles touchent. Voici bien longtemps que M. Villemain fait au nom de L’Académie ces résumés périodiques, et chaque année il semble y mettre un intérêt et un éclat nouveaux. Nul ne triomphe avec plus d’aisance de la difficulté qu’il y a à réunir des choses si différentes, à passer d’une œuvre d’histoire à un travail de philosophie, d’une étude d’économie politique à un livre de poésie, de l’antiquité à notre temps, en recueillant et fixant à chaque pas les lumières qui naissent du contraste des siècles, de la diversité des événemens, de la mobilité du spectacle humain. Ne reste-t-il pas toujours cependant cette question : — l’ouvrage le plus utile aux mœurs est-il une étude psycologique des facultés de l’âme, un essai sur les doctrines politiques d’un autre siècle, un résumé d’histoire littéraire depuis le moyen âge, un tableau de la littérature française dans les pays étrangers depuis le XVIIe siècle ? — Cela n’ôte rien assurément au mérite de ces divers travaux ; mais l’Académie ne pense pas sans doute avoir bien strictement observé son programme. Par une bizarrerie singulière, l’œuvre qui eût semblé au premier abord se rapprocher le plus, en un certain sens élevé et moral, du but proposé est celle qui a eu à essuyer les plus vives critiques : c’est une œuvre de poésie qu’on connaît, le recueil des Poèmes évangéliques de M. de Laprade. Pour tout dire, l’Académie a eu des scrupules, non point des scrupules d’orthodoxie religieuse, ce dont elle se défend bien, mais des scrupules d’orthodoxie littéraire. Quoi donc ! le contraire n’eût-il pas semblé plus vrai ? On pourrait concevoir que le respect pour les livres sacrés arrêtât la poésie et l’art, de peur qu’une inspiration trop profane ne vînt se mêler à cette inspiration sainte ; mais si ce scrupule est écarté, comment trouver