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Ce papier, arrivant sur la place sans ensemble et sans appui, y aurait-il conservé quelque prestige aux yeux des gens du parquet et de la coulisse ? Tout cela est fort douteux. D’ailleurs, bien qu’il soit de mode en France de déclamer contre les jeux de bourse, une opération nouvelle n’est chaleureusement accueillie qu’autant qu’elle donne occasion de jouer. Il faut que l’affaire soit ou paraisse une belle affaire pour ceux qui la dirigent. La foule ne cherche jamais à se rendre compte de ce que vaut une conception par elle-même : elle la juge par l’habileté attribuée à ceux qui la patronnent. Une liste de noms bien connus dans le monde financier est la principale garantie du succès, du moins jusqu’au jour où les dividendes mesurent exactement la valeur de l’entreprise. Cette inertie du public français est déplorable sans doute, mais il en faut prendre son parti.

Le crédit foncier s’est donc naturalisé chez nous, au moyen d’un groupe de capitalistes formant le trait d’union entre les préteurs et les emprunteurs. Ce ne fut pas sans tâtonnemens qu’on parvint à régulariser ce système. Il avait d’abord paru naturel de diviser la France en circonscriptions, et de laisser aux hommes éminens de chaque ressort le soin d’adapter aux besoins de leurs localités le mécanisme des banques territoriales. Paris donna l’exemple. En vertu d’un décret de 28 mars 1852, une société représentée par trente et une personnes, et devant fournir un fonds de garantie de 25 millions de francs, fut autorisée à prêter aux propriétaires d’immeubles dans les sept départemens du ressort de la cour d’appel de Paris, et à faire des émissions successives d’obligations foncières pour réaliser les fonds destinés aux prêts. Dans l’annuité à servir par le débiteur, l’intérêt de l’argent limité à 5 pour 100 au maximum, les frais d’administration et l’amortissement devaient être calculés de manière à ce que la durée de l’opération n’excédât pas cinquante ans, conditions en vertu desquelles on devait élever à 5 fr. 45 centimes pour 100 francs de capital la redevance annuelle de l’emprunteur. D’autres tentatives étaient faites dans le reste de la France. À Marseille, une société destinée à desservir trois départemens (Bouches-du-Rhône, Var et Basses-Alpes, fut autorisée par décret du 12 septembre 1852. Une autre compagnie, comprenant dans son ressort les départemens de la Mièvre, du Cher et de l’Allier, prit naissance en octobre 1852. L’expérience en était à ce point lorsqu’elle eut à subir tout à coup une transformation radicale.

Aux termes d’une convention passée le 18 novembre et divulguée seulement le 10 décembre 1852, peu de jours avant l’élection pour l’empire, le privilège de la société parisienne fut étendu à la France entière, à l’exception des six départemens au service desquels étaient destinées les sociétés de Marseille et de Nevers. Il est probable que des tentatives de fusion eurent lieu, mais que les prétentions locales élevèrent des difficultés insurmontables. Quant à l’établissement qui se trouvait appelé à desservir quatre-vingts départemens sur quatre-vingt-six, il reçut le titre de Crédit foncier de France, et s’engagea à distribuer entre les départemens de son domaine, au prorata de leurs dettes hypothécaires, un prêt du 200 millions, à raison d’une annuité de 5 pour 100[1] devant éteindre la dette en cinquante années. Après

  1. Toutefois, en vertu d’une combinaison financière qui sera expliquée plus loin, les personnes qui désireraient racheter leur dette dans le cours des quinze premières années, auraient avantage à emprunter suivant les conditions de la société primitive, c’est-à-dire moyennant 5 fr. 45 cent, par annuité.