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couleur pain d’épice m’a paru générale, sauf quelque diversité de teintes plus ou moins foncées. J’ai laissé Paris très effrayé de la république rouge, je trouve ici la république jaune.


1er mars.

Nous sommes partis ce matin de Puebla pour Mexico, où nous arriverons avant la nuit. Dans la diligence, il y a des Espagnols du Mexique et un Espagnol d’Europe. Celui-ci vante sans cesse son pays, on le laisse dire ; mais s’il met pied à terre, on profite de ce moment pour dire du mal de l’Espagne. Un Français établi au Mexique, qui a fait des affaires aux États-Unis, commence par dire des Yankees tout le mal possible : son insolentes, malos ; puis, en parlant de bateaux à vapeur, de chemins de fer, de l’activité industrielle et commerciale des Américains, il arrive à un enthousiasme sans bornes et dit : « Ils font de merveilleux progrès, c’est un grand peuple. »

Après avoir traversé un bois de plus appelé le Piñal, célèbre dans l’histoire des bandits mexicains, on arrive à un point d’où le plateau de Mexico se développe devant le regard. C’est un des plus étonnans spectacles qui soit dans l’univers. Les grands sommets neigeux qui dominent tout, les montagnes amoncelées à leur base, les lacs au pied de ces montagnes, des arbres tropicaux et des arbres toujours verts, la neige vue à travers les aloès, composent un ensemble beaucoup plus singulier que la nature des tropiques avec la majestueuse et riante monotonie de ses palmiers, de ses cocotiers, de ses bananiers. Cette végétation n’a point, au premier coup d’œil, l’air exotique de la végétation de Cuba. Voilà des arbres analogues aux arbres de l’Europe tempérée, aux ormes, aux frênes, aux peupliers ; seulement ce ne sont ni des ormes, ni des frênes, ni des peupliers ; c’est un aspect étranger, mais non pas étrange, un inconnu qui rappelle le connu, qui en diffère et qui lui ressemble.

En approchant de la capitale du Mexique, on passe entre les deux lacs de Chalco et de Tezcuco. On les appelle laguna, et ils ont en effet un air de lagune. Sur les bords, des troupes de cigognes blanches se pressent comme un troupeau de brebis. La plaine qui entoure Mexico a formé le fond d’un grand lac. Les deux qui subsistent aujourd’hui sont un faible reste de l’immense nappe d’eau qui baignait autrefois le pied de ces hautes montagnes.

Enfin nous entrons à Mexico. C’est une sensation singulière de rencontrer ainsi à deux mille lieues de l’Europe, à sept mille pieds au-dessus du niveau de la mer, une ville de cent cinquante mille âmes, une capitale dont l’aspect est européen, — de retrouver au bout du monde des souvenirs historiques, et quels souvenirs ! ceux du fait le plus extraordinaire peut-être qui ait été accompli par l’audace humaine.