Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auprès de l’archevêque de Dublin, le bruit qui courait que Bolingbroke allait revenir en achetant son pardon par des révélations : il dit avec raison qu’il n’en aurait pas à faire. Cependant sa haine persistante pour lord Oxford, et qu’il ne peut contenir même en écrivant à Swift, était loin de le servir, et l’empêchait de profiter de l’acquittement de son ancien complice et de la popularité relative qui l’entourait. Sa femme luttait pour lui, elle le dit du moins ; on a d’elle deux lettres à Swift qui ne sont pas sans quelque grâce, et qui justifiaient le goût bienveillant du docteur pour elle. « Quant à mon humeur, écrit-elle le 5 mai 1716, je suis, s’il est possible, encore plus insipide et plus ennuyeuse (dull) que jamais, excepté dans quelques momens, et alors je suis une petite furie, surtout quand on ose parler de mon cher lord sans respect, ce qui arrive quelquefois. » Elle s’occupait activement de l’affaire de son cher lord. Elle trouva faveur auprès du roi, qui lui accorda main-levée de la confiscation des biens mobiliers, mais elle mourut un an après (novembre 1718), et, à en croire son mari, cette restitution partielle devint une perte pour lui. Apparemment faute de formalités et de précautions, ces valeurs se confondirent avec celles qu’elle possédait à sa mort et ne purent être retirées de sa succession. Il se dit appauvri d’autant, et il s’en prend, on ne sait trop pourquoi, à la dévotion de lady Bolingbroke. Il vivait sur le capital qu’il avait apporté en exil et augmenté du produit de quelques spéculations heureuses en ce temps où Law devançait le nôtre. On ne voit pas qu’il ait jamais éprouvé la gêne. Des considérations de fortune peuvent toutefois avoir contribué au singulier établissement qu’il forma quand il se vit tout à fait libre. Il vécut auprès de Mme de Villette, et l’emmena aux eaux d’Aix-la-Chapelle, où il parait l’avoir épousée en mai 1720. On a prétendu qu’elle embrassa la religion protestante, puis on l’a nié et l’on a même contesté le mariage. Il est certain qu’en France Bolingbroke ne lui fit pas changer de nom ; mais tous deux voulaient qu’on les tînt pour légitimement unis. Ils le déclarèrent même en 1722, et dans le caveau des Saint-John de l’église de Battersea, où la marquise est ensevelie, il fit graver une épitaphe qui lui donne le litre de vicomtesse Bolingbroke.

Au printemps de 1720, tous deux avaient, en se mariant, quitté Marsilly, qu’ils cessèrent d’habiter. Un an auparavant, Bolingbroke avait fait l’acquisition de la terre de La Source, ainsi nommée parce que le Loiret prend sa source dans le parc et y forme en naissant une vraie rivière, dont les eaux reproduisent un moment le beau phénomène de celles du Rhône à Genève. C’est dans ce lieu que Bolingbroke fixa sa retraite ; il sut l’animer par les plaisirs de la société et de l’étude. Suivant toute apparence, ses longs séjours à la