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dans ces paroles matière aux sarcasmes usés, à la raillerie vulgaire dont certains esprits poursuivent le sentiment national ! Qu’on se reporte d’ailleurs à l’instant, au lieu où fut prononcée la phrase que nous écrivons aujourd’hui. On sentira tout simplement ce que sentirent les braves gens à qui le général Bouscaren s’adressait ; on éprouvera une des émotions qui étaient toute la vie du cœur d’où ce cri est parti.

Bien des noms, qui sans doute ne seront pas environnés de gloire, mais qui brilleront d’un éclat sacré au fond de mémoires amies, revenaient sur la bouche du commandant Cassaigne. J’apprenais comment Morand, Bessière, Staël, Costa, avaient reçu les blessures dont ils sont morts. Le commandant Morand fut frappé dans les rues de Lagouath ; il avait pris un clairon, et sonnait lui-même la charge aux zouaves, que sa bravoure entraînait. Il était enseveli déjà. Le capitaine de Staël était encore sur son lit de douleur. Sa blessure, à lui, l’appelait d’autres souvenirs que ceux de l’assaut. Il avait eu l’épaule brisée dans une des brillantes actions de cavalerie que dirigea le général Yusuf quelques jours avant le siège. C’était un de ces soldats qui pratiquent la religion du devoir avec une rigoureuse exactitude et une enthousiaste ferveur. Une maladie, dont l’air natal aurait seul pu le guérir, l’avait atteint depuis quelques mois, quand survint l’expédition de Lagouath. Il venait d’obtenir un congé, lorsque son escadron se mit en marche. On le pressa en vain de partir pour la France. Il était de ceux qui refusent à la vie le nécessaire pour accorder le luxe à l’honneur. Il se mit en route pour Lagouath ; au premier combat que livra le général Yusuf, il fut atteint d’un coup de feu en chargeant à la tête de cet escadron qu’il n’avait point voulu quitter. Toute blessure devait être mortelle pour un corps affaibli comme le sien. Aussi vit-il tout de suite l’issue de la lutte qu’il avait à soutenir contre la douleur. La mort du capitaine de Staël a eu un caractère doublement religieux ; c’est en même temps la mort du champ de bataille et cet autre trépas si commun en Afrique, qui, au lieu d’être radieux comme la gloire, est humble comme le dévouement et ignoré comme la vertu.

Je me couchai, l’âme toute remplie des héroïques récits que j’avais recueillis d’une bouche complaisante. Ce qui devait me parler le lendemain, c’était le sol, c’étaient les pierres, c’était la chair encore vivante où la mort allait pénétrer.


II

Ce fut par une admirable journée de novembre, vers deux heures, que je pénétrai pour la première fois dans l’enceinte même de Lagouath.