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compris la Grèce ; toute la France s’était trompée. M. Ponsard, qui possède l’intelligence de Tite-Live, ne devine pas moins sûrement le vrai sens d’Homère par droit de pareille. Nourri du miel de l’Hymète, il parle sans effort la langue de Patrocle et d’Agamemnon. Aussi généreux que savant, il n’a pas voulu garder pour lui seul un si précieux secret ; il nous associe à son opulence avec une libéralité que je ne saurais trop louer. Pour nous montrer comment il faut s’y prendre pour peindre l’antiquité, il vient de traduire à sa manière un chant de l’Odyssée, la rencontre d’Ulysse et de Nausicaa, et de l’encadrer dans un récit de son invention ; mais avant d’apprécier cette hardie tentative, il nous faut parler en quelques mots des principes exposés par M. Ponsard. S’il se fût contenté de dédaigner André Chénier, nous ne connaîtrions pas à fond ses doctrines littéraires ; il a bien voulu nous les révéler, et cet enseignement a été accueilli partout avec une reconnaissance unanime. Nous savons maintenant, à n’en pouvoir douter, qu’il procède à la fois de Corneille, de Racine et de Molière ; avec de tels aïeux, on peut à bon droit défier toutes les atteintes de la critique. Il est vrai que ses trois illustres ancêtres ont chacun un style qui leur appartient et qui ne peut être confondu avec le style des deux autres ; il est vrai que le Cid, Athalie et le Misanthrope, bien qu’écrits dans le même siècle, ne sont pas écrits dans la même langue ; il est vrai que la simplicité familière de Molière n’a pas grand’ chose à démêler avec la période nombreuse de Racine ou la phrase énergique de Corneille ; mais leurs disciples et leurs descendans ne s’arrêtent pas à de pareilles vétilles. De toutes parts, on demandait à l’auteur d’Ulysse quels étaient ses principes, il fallait bien répondre à la curiosité universelle. Dieu merci, notre attente n’a pas été trompée ; nous connaissons maintenant la généalogie littéraire de M. Ponsard. À la rigueur, il aurait pu se dispenser de nous exposer ses opinions, il suffisait de nommer ses aïeux. Sachons-lui gré pourtant de ne s’être pas tenu dans une réserve majestueuse ; il a poussé la condescendance jusqu’à nous expliquer par quels liens mystérieux il se rattache aux chefs de sa famille. Le génie seul possède le secret de ces merveilleuses causeries.

Voyons maintenant le vrai sens d’Homère. Un poète moins hardi que M. Ponsard eût hésité peut-être à mettre Homère en scène. Au premier aspect en effet, une telle entreprise a quelque chose de dangereux ; mais une victoire sans péril ne saurait tenter que les âmes vulgaires. Quand on a cueilli le laurier-rose sur les bords de l’Eurotas, on trouve sans peine sur ses lèvres des paroles dignes d’Homère. La fable inventée par M. Ponsard est d’une naïveté charmante, et prouvera aux plus incrédules que l’auteur d’Ulysse entend l’antiquité bien autrement qu’André Chénier. Voyez plutôt. Homère, re-