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entre l’affliction qui est à la mode et le contentement qui est à peu près hors d’usage, il avait choisi le contentement. Ce sont là des flatteries qui ne sortiront jamais de ma bouche. J’ai rencontré plus d’une fois M. Charles Reynaud, j’ai pu l’étudier tout à mon aise, et je dois dire que son bonheur n’était pas un masque officiel, un parti pris. Il était heureux par nature ; les souffrances qu’il avait éprouvées, comme toutes les âmes généreuses, il les cachait avec soin, dans la crainte d’affliger ses amis. Il s’efforçait de répandre autour de lui le contentement intérieur qui formait le fond de sa vie. D’après les pages qu’il a laissées, il n’est pas permis d’affirmer qu’il possédât des facultés éminentes, je ne crois pas qu’il fut destiné à conquérir une éclatante renommée ; mais je pense qu’un rang très honoré lui était promis dans notre littérature, et quoique la mort l’ait enlevé à trente-cinq ans, il a donné des gages assez nombreux pour que la durée de son nom ne soit pas menacée. Le recueil de ses poésies contraste en effet d’une manière trop frappante avec les recueils publiés chaque jour pour qu’on ne lui assigne pas une place à part. La plupart des poètes qui ont élevé la voix depuis trente ans n’entretiennent la foule que de leurs souffrances, et se prennent trop volontiers pour le centre du monde. M. Charles Reynaud, guidé par la générosité de ses instincts, s’efface toujours devant ses amis. Il croit au bonheur, à la sincérité des affections, et nous entretient de ses espérances. Lors même que son talent aurait moins de finesse, son langage moins d’élégance et de clarté, il serait encore assuré de laisser une trace durable dans les esprits sérieux. La bienveillance, dans une âme façonnée à la pénétration par ses facultés natives et par la pratique de la vie, a quelque chose de touchant qui excite et enchaîne la sympathie. M. Charles Reynaud ne croyait pas à la bonté universelle, mais il voyait dans le nombre des âmes fausses et perverses une raison de plus pour aimer les âmes sincères. Que fût-il devenu si le temps ne lui eût pas manqué pour réaliser ses rêves ? Je n’ai pas la prétention de le deviner ; mais, avec le loisir qu’il tenait de sa naissance, il est probable qu’il eût trouvé moyen de produire des œuvres, sinon puissantes, au moins délicates et pures. La nature de son talent ne semblait l’appeler ni au roman ni au théâtre. La poésie lyrique allait mieux à ses facultés, bien qu’il n’eût pas à sa disposition une grande richesse, une grande variété d’images. L’épître familière convenait merveilleusement à son caractère et à son esprit, c’est dans ce champ si aride en apparence qu’il se déployait en toute liberté. Il savait le féconder par les souvenirs de sa jeunesse : il associait avec bonheur à l’expression de ses sentimens personnels le tableau de la nature qu’il avait sous les yeux. En parlant de son verger, de ses champs et de ses bois, il trouvait des accens d’une vérité pénétrante. Il disait