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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1218

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ce qu’il avait senti mieux encore que ce qu’il avait rêvé. Son émotion n’avait rien de factice. Chez lui, la rime n’appelait jamais la pensée rebelle ou absente. Sans attacher une grande importance aux doctrines littéraires, il avait choisi presque à son insu la meilleure et la plus sûre de toutes les doctrines : il ne cherchait dans la parole que l’écho de ses sentimens.

C’est pourquoi nous devons le regretter, car les âmes de cette trempe ne sont pas nombreuses de nos jours. Les talens ne manquent pas ; toutes les formes de la pensée trouvent parmi nous d’habiles interprètes ; ce qui fait trop souvent défaut, c’est la sincérité de l’émotion : le maniement du langage s’est tellement perfectionné, que L’homme disparaît sous l’ouvrier. Les ruses inventées pour tromper la foule sont tellement savantes, tellement multipliées, qu’il faut une rare pénétration pour distinguer le mensonge de la vérité. En lisant les vers de M. Charles Reynaud, l’hésitation n’est pas permise ; si le poète ne possède pas encore une habileté consommée, nous sommes du moins en présence d’un homme sincère. Il y a dans sa voix un accent qui ne saurait tromper. Les sentimens qu’il exprime ne sont pas nés de la combinaison des mots. Il s’adresse au cœur, et le cœur lui répond. Le temps et le travail auraient pu lui révéler bien des secrets qu’il ignorait encore ; mais il possédait un trésor que le travail le plus persévérant ne suffira jamais à conquérir. Il avait en lui-même une mine féconde dont l’art eût dégagé peu à peu tous les filons. Ne parlant qu’à son heure, il n’était pas exposé à balbutier des paroles sonores et vides. Aussi le recueil de ses poésies, quoique imparfait dans la forme, mérite par son caractère substantiel notre attention et notre sympathie. Bien des poèmes écrits dans une langue plus pure et plus harmonieuse, enrichis d’images plus éclatantes et plus variées, ne laisseront dans la mémoire qu’une trace passagère. M. Charles Reynaud, chez qui le cœur dominait l’esprit, gardera longtemps la faveur qu’il avait conquise en quelques mois, parce que cette faveur ne dépend pas des caprices de la mode.

La tâche de l’analyse est maintenant achevée ; il s’agit de formuler les conclusions auxquelles l’analyse nous a conduit. Et d’abord parlons de l’antiquité. La tentative de M. Ponsard ne mérite pas une attention sérieuse, car elle se réduit au pastiche, au pastiche maladroit et infidèle. Mettre en vers la traduction de Mme Dacier et substituer au mot naïf le mot vulgaire, ce n’est pas, quoi qu’on puisse dire, réhabiliter poétiquement l’antiquité, c’est un caprice, et rien de plus. De pareilles tentatives peuvent se multiplier pendant plusieurs années sans rien changer à l’état de notre poésie. Les érudits n’ont rien à y voir, car ils n’y trouveraient pas le souvenir de leurs études ; quant aux gens du monde, ils n’ont aucun profit à en tirer, car ils